Vous en avez, vous, des réminiscences à la Proust ?
Vous en avez, vous, des réminiscences à la Proust ? Je viens d’en avoir deux, coup sur coup.
Hier soir, comme il faisait un peu frais, j’ai craqué une allumette pour faire un petit feu dans la cheminée, le dernier de la saison. J’ai senti le bon parfum du bois qui s’enflammait, et, crac, me voilà ramené à mes 14 ans. J’étais amoureux pour la première fois, mais, à partir d’octobre, la vraie vie était en ville tandis que nous, chaque samedi-dimanche que Dieu fait, on allait à la campagne. Quand on garait la 4 CV sous l’allée des platanes, on était accueillis par l’odeur des feux rallumés par les bonnes gens du village. Il faudrait se contenter de quelques amitiés de garçons et de nos courses à vélo. Pour les parties de ballon prisonnier sur la place de l’église avec Bernadette, il faudrait attendre le mois d’août prochain, à moins que… À moins que la Dauphine blanche du père de Bernadette ne soit sagement garée à nous attendre sous les platanes, ce qui est en effet arrivé une ou deux fois. Ah, l’attente ! Ce mélange de déception et d’espoir parfumé par les premiers feux de l'automne...
L’autre histoire, c’est en lisant Le Guépard de Lampedusa. Je me régale. Tout à coup, les palais que j’ai visités à Palerme ont retrouvé leurs habitants, avec leur façon de parler et de penser. Officiellement, à Donnafugata, tout le monde a voté Si au prébiscite sur la démocratie. En réalité, bien des Siciliens préfèrent obéir au proverbe millénaire qui conseille de préférer un mal déjà connu à un bien que l’on n’a pas expérimenté. J’ai adoré ce proverbe que je ne connaissais pas… Et Lampedusa d’ajouter que certains pouvaient aussi avoir des raisons personnelles de s’opposer à la révolution, soit par foi religieuse, soit par inaptitude à s’insérer dans un nouvel ordre des choses, soit que les soldats garibaldiens leur aient volé deux ou trois chapons ou quelques mesures de fèves, ou enfin qu’il leur ait poussé quelques paires de cornes …
Eh bien, vous le croirez si vous voulez, mais, en lisant cela, recrac, j’ai immédiatement plongé dans le toboggan du temps et atterri sur une page de Tacite. Mes deux auteurs latins préférés sont le tendre Virgile et le cruel Tacite. Or Tacite, quand il raconte toutes les cruautés commises par Agrippine, Néron et les autres, fait souvent plusieurs hypothèses ironiques, plus cyniques les unes que les autres sur les motifs des actions commises : soit que... soit que... ou peut-être encore parce que... Je me suis subitement trouvé projeté au temps lointain de mes études de latin, dans l’angoisse de la version pas faite le dimanche soir où j’avais trop sillonné les chemins à bicyclette en rêvant à Bernadette.
Photo : mes découvertes d'hier à la Boulière.
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