Vous êtes plutôt Giono ou plutôt Pagnol ?
Nous, dans la famille, on est carrément Giono. Je le connais à fond, j'ai tout lu, six tomes Pléiade quand même ! Je lui ai consacré un chapitre de Littérature et Déchirure. Mes trois auteurs favoris au XX°, c'est Proust, Houellebecq et Giono. Rien à voir entre eux, je sais. Du coup, Pagnol, on le lisait même pas. Rien que le nom, ça faisait grosse blague, trop facile, couleur locale de mauvais aloi.
Confiné à la campagne, j'avais plus rien à lire pour sortir de Péguy. Pouf, je suis tombé sur Jean de Florette : un ravissement ! La satire du milieu paysan, le côté comédie, et toujours l'argent, c'est vrai, j'aime pas bien. J'ai repensé à Michelet qui ne pardonnait pas à Balzac ses Paysans. Je préfère Sand et la charmante Nanon, et Giono, jamais moqueur même quand il décrit le crime.
N'empêche que Pagnol est un de ces auteurs amphibies qui connaissent tout de la vie, ici paysanne, tout en sachant écrire. Pas un pouce de gras. Il se passe quelque chose à chaque paragraphe. J'ai connu la Provence après le départ des vrais paysans. Combien de cabanons ou de fermes abandonnés, j'ai visités dans mes courses d'enfant à vélo. Des toits crevés, des gravats partout, de rares meubles, des étagères avec des bouteilles et diverses poteries, quelques outils restés pendus à leur clou, des rouleaux de fil de fer, des sacs de soGfre, des machines agricoles hors d'âge, un trépied et une crémaillère dans une cheminée. Le plus émouvant, une assiette, une fois, et un couteau restés sur la table d'un vieux garçon qui avait dû déguster son dernier civet, avec, encore, les traces du pain pour essuyer la sauce. Et une paire de vieilles godasses, le cuir dur comme du bois, les clous comme des dents dans la semelle racornie.
Les courants d'air avaient pris possession des lieux, faisant battre les volets plus ou moins dégondés, ayant emporté les hommes qui ont vécu là, leur langage, leurs us, leur savoir faire, leurs passions, leurs croyances, etc. Pagnol me les restitue car il a connu, aussi intimement que Giono, la vie rurale dans les années 1920, 1930, qui n'avait guère dû changer depuis les Gallo-romains. Tous les personnages de la Provence sèche, les bonnes gens du village et leurs petits logis, les environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, village et jardins, de mon livre au coin du feu.
J'ai retrouvé ces paysans dont les ancêtres avaient enlevé une par une les pierres de chaque bancaou, qui n'achetaient chez l'épicier que le sucre, le café, le pétrole, le sel, le poivre et le savon. Leur problème numéro un, c'était où cacher la marmite contenant les louis d'or.
Pagnol fait revivre des hommes qui flairaient la terre et en mettaient un peu sur leur langue pour en apprécier la qualité, qui savaient trouver une source avec une branche fourchue et qui commençaient par en goûter l'eau, qui suçaient leur index et consultaient leur douleur à la hanche pour connaître la météo, qui griffonnaient la terre quand elle est trop sèche l'été, qui plantaient des amandiers, mais des Princesses qu'on peut casser entre deux doigts, qui ne plantaient pas les pommes d'amour au nord, sinon, elles ne mûrissent pas, qui mettaient des clous dans leur cruche parce que la rouille fortifie, qui mangeaient les escargots quand le thym est en fleurs, qui connaissaient la formule qu'il faut prononcer quand on trempe une braise dans un verre d'eau pour guérir une insolation, qui offraient un cierge à Saint Dominique quand ils dessouchaient un olivier, qui comprenaient que Manon a des rayures noires sur les mollets parce qu'elle est allée ramasser des morilles, lesquelles poussent au pied des arbres calcinés, qui n'écrivent rien de peur de l'oublier, et mille autres choses encore...
Quant aux chèvres, elle savent qu'il ne faut jamais toucher à la rue, sauf quand elles sentent qu'elles portent un chevreau mal formé.
Foin du Covid et de sa race !
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