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Voir Agrigente




Dormi chez Sabine. Dans les toilettes, je suis tombé sur un vieux Télérama avec une photo du grand temple d’Agrigente qui inspira Nicolas de Staël après un voyage de folie en 1953. Il avait embarqué toute sa famille dans une vieille camionnette Citroën + une jeune femme qu'il avait ramassée en route. Il dévala tout l’Italie comme un dératé et grimpa au trot sur le promontoire auquel on accède aujourd’hui en voiture électrique.

J’avais fait ce voyage en août 68 dans des conditions comparables. Mezzogiorno. Je recopie mon Carnet rouge :

 

10 jours en Sicile avec Béatrice et Martine. 1700 km d’une traite en 4L sans autoroutes. 40 heures non-stop . C’est moi qui conduisais. À Naples, je me suis évanoui sur une plage de galets et des petits enfants m’ont fait de l’ombre avec une serviette . Nous avons failli être dévorés par des chiens. À l’aube, nos sacs de couchages étaient trempés par la rosée et les embruns. Un dépotoir à ciel ouvert.

Rendez-vous manqué avec Jean et Mario devant la cathédrale. de Syracuse. Tour de Sicile continué à part dans les sens opposés du cadran.

Bain de minuit nus dans la rade.  Visite des Latomies. Avons passé 3 heures par 40° dans l’eau sur une côte basaltique tranchée en pans immenses par les prisonniers athéniens de l’expédition de Sicile transformés en forçats.

Avons été invités chez le sénateur Di Giovanni, 97 ans, et ses 4 fils, tous avocats du Parti communiste, dans une incroyable maison baroque donnant sur la mer. Des gens partout, charmants. Le facteur est un ténor qui entonne un couplet sur le balcon.

Béa et Martine en minijupe provoquent des embouteillages dès qu’elles sortent de la voiture. Elles écartent les raggazzi en leur criant zanzara, zanzara (moustiques) ! Une fois, Martine a provoqué un carambolage parce qu’elle avait retiré son soutien-gorge dans la voiture. Beaucoup de chaleur, de poisse, de pègue et de glue. Des journées sans eau avec du coca renversé sur les genoux, des figues écrasées sur les mains et le visage. Le matin, on se débarbouille dans l’abreuvoir des ânes.

À Agrigente, pour dormir, nous nous sommes carrément installés dans le grand temple au-dessus de la mer sous les étoiles. Réveillés par des projecteurs. On a mis nos capes dessus qui ont grillé, un car de touristes venus assister à un spectacle Son et Lumière nous a fait détaler. Agrigente est la ville la plus misérable de la Sicile. Les palais, ornés de fers forgés baroques, rongés par les pariétaires, sont habités par des mendiants. Les vieillards ont des têtes goyesques, demandent si de Gaulle vit encore et s’il est communiste. Des villages dévastés par les tremblements de terre avec des églises éventrées.

 

Photo : la page de Télérama. Voir en ligne Agrigente vue par Nicolas de Staël.

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