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Virgile plus neuf que le journal du matin


Giono raconte que quand il avait 16 ans et qu’il avait l’impression de gâcher sa jeunesse à faire des additions dans une banque pour nourrir sa famille, il réservait 1 franc par semaine pour acheter des livres. Comme les contemporains étaient trop chers (3 f 50), il choisissait les grands classiques comme Homère, Eschyle, ou Virgile. Il fallait commander car il n’y avait pas de librairie à Manosque et encore moins d’Amazon. C’était 95 centimes le volume + 5 centimes pour le timbre. Comme un rendez-vous amoureux, il attendait une semaine le paquet en bon papier bien fort avec de la bonne ficelle, envoyé par les bons frères Garnier, et s’échappait dans la colline couverte du bronze crépu des oliviers, avec Virgile sous le bras. Le pacifisme de Giono épouvanté à la pensée que le sang noirci de 1914 allait être rafraîchi du sang tout frais en 1940 était évidemment en phase avec celui de Virgile qui espérait le retour d'un âge d’or où la charrue des agriculteurs déterreraient des casques rouillés. Giono enjamba dans toute son œuvre la grande barrière qui sépare le monde humain et les mondes végétal et animal.

Virgile est un grand poète naturaliste qui décrit la vie des abeilles, du petit bétail, le printemps qui explose, etc. En avril, le désir vénérien commence à travailler tous êtres jusqu’aux moelles. Quelques exemples tirés de l'admirable livre III des Géorgiques :


C’est chez les cavales que la frénésie amoureuse est la plus remarquable : elles se dressent sur les hauts rochers et se laissent féconder par le vent sans aucun accouplement. Elles détalent alors à travers les rochers, les pics et les vallées encaissées. Une humeur visqueuse suinte de leur aine, etc.. (III, 266 sqq).


Virgile est pourtant un poète mélancolique et triste, attentif à toutes les souffrances, à commencer par la souffrance animale.


- l’étalon alourdi par la maladie ou engourdi par l’âge reste de glace dans les travaux de Vénus. Il prolonge sans succès un effort ingrat si, parfois, il en vient à l’assaut et se déchaîne en vain. (III, 95 sqq)

- Dans un attelage, quand un taureau, frappé par la maladie, s’effondre, vomit du sang mêlé d’écume et pousse les gémissements de l’agonie, le laboureur s’en va dételer le jeune taureau affligé de la mort de son frère et laisse sa charrue enfoncée au milieu du sillon. (III, 515 sqq)


- un autre taureau, attiré par le doux attrait des femelles, a été vaincu dans une joute amoureuse : il s’en va après sa défaite et s’exile au loin sur des bords inconnus, gémissant longuement sur son ignominie, sur les coups de son vainqueur orgueilleux et sur l’objet de son amour perdu sans pouvoir se venger. Les yeux tournés vers son étable, il a quitté le royaume de ses aïeux. (III, 224 sqq)


Giono a publié Les Pages immortelles de Virgile appréciées par tous les lecteurs dotés d'un cœur d'homme, fatigués de la surconsommation ravageuse de la planète et hantés par le rêve d'un retour de l'âge d'or.

 

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