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Une soirée avec Marcel



L'autre jour, on a invité Marcel à dîner. Michèle a fait du veau aux carottes et, en dessert, tarte meringuée au citron. Un vrai délice ! Après, on a goûté la mirabelle que mon grand-père avait mise en bouteille, pour la naissance de Monique : 1929 quand même. Marcel, c'est notre voisin de l'autre côté de la route, fermier de père en fils de la Boullière. C'est aussi lui qui tient notre petite vigne, enfin elle est à Vincent, où on fait l'un des meilleurs vins de la région, le Domaine de Vaisses, je vous le recommande. Il nous l'a confirmé.

On a parlé du village, aujourd'hui et jadis, des cultures. Il connaît tout. Lui, ça lui fait mal au cœur de mettre un trognon de choux à la benne ou des épluchures de pommes de terre : tout l'organique doit revenir à la terre. Il m'a fait comprendre une chose que je n'avais jamais réussi à comprendre à l'âge où je suis arrivé, c'est pourquoi il faut griffer la terre quand il fait sec. Moi, il me semblait que l'humidité allait s'évaporer encore plus que sous une bonne croûte. Ça fait monter l'humidité, il a dit. Alors, vous comprenez, mon lecteur de la ville ? Bien sûr, il y a de l'évaporation mais au final, les racines des plantes sont gagnantes car l'humidité profonde est aspirée vers elles !

On a surtout parlé du temps jadis. Il a connu les derniers paysans. À l'époque, il y avait partout des bassins d'irrigation. Aujourd'hui, ils sont à sec, envahi par les ronces, et quand ils étaient pleins, on distribuait l'eau entre les différentes parcelles avec des martellières et des ruisseaux. Il y avait aussi des mines souterraines qui amenaient l'eau dans chaque ferme. Ou alors des sources. Christian notre voisin de la Boullière était justement spécialiste de l'entretien des mines et savait se glisser sous terre comme un furet. Maintenant, la plupart sont bouchées et tout le monde a son forage. Et il y a l'eau du canal de Provence.

On a aussi beaucoup parlé des moulins. Rien que sur notre petite commune, il y avait cinq moulins. Mais attention, il y avait les moulins à vent et les moulins à eau. C'était pour le blé et pour les olives. Je ne suis pas arrivé à savoir si c'était les mêmes moulins qui servaient pour la farine et pour l'huile. En tout cas, l'huile d'olive, c'est pas seulement pour la cuisine, c'était pour l'éclairage aussi.

Mais attention, il ne faut pas confondre les moulins à vent avec les pigeonniers. Une fois que les ailes sont tombées, ça se ressemble mais c'est facile de repérer les pigeonniers parce qu'ils ont une bande de carreaux de Saint Zacharie autour, ces carreaux vernissés brun-rouge. Vous savez pourquoi on mettait des carreaux comme ça, mon lecteur ? C'est pour pas que les rats grimpent croquer les pigeons. Il y a des pigeonniers ronds et des carrés. Je préfère les carrés. Aujourd'hui, il n'y a plus un seul pigeonnier en Provence. De retour d'Égypte, pays des pigeons, Hatem m'avait convaincu d'en élever moi-même. J'ai construit un pigeonnier mais on l'a jamais fait. Michèle a pas voulu parce que ça fait mille saletés. Les pigeons, ça chie partout ! Mais j'ai un livre superbe sur les pigeonniers de Provence. Si ça vous intéresse, je vous le prêterai. Mais attention, il s'appelle Retourne !

Vous imaginez la vie rurale, mon lecteur, quand il y avait ces bassins, ces eaux courantes, ces moulins avec les allées et venues des ânes, ces vols de pigeons et ces broches dans les cheminées...

Attention, mon lecteur de la ville : je dis ce que j'dis et je n'dis pas ce que je n'dis pas ! Je ne dis pas que c'était mieux avant. Mais je dis que ça devait être drôlement joli.

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