Un peu d’archéologie

Nous étions quat’zhypokhâgneux à Thiers, à étudier la littérature française, le latin et le grec au milieu des années 60. Moi, j’étais amoureux de Michèle. Jacques était amoureux de Nicole. La différence, c'est que Jacques et Nicole étaient toujours ensemble alors que moi, Michèle me faisait la vie dure et m’a laissé cristalliser pendant plus de deux ans. Elle préférait Homère et le grec. J’en pinçais pour Virgile et la merveilleuse langue latine. En plus, Nicole était l’amie et la confidente de Michèle, comme chez Marivaux. Moi, je n’avais pas de confident. Jacques m’encourageait juste à y aller carrément. Résultat des courses, j’ai eu Michèle, pour parler encore une fois comme Stendhal. Jacques a fait sa vie avec une autre. Eh bien, après toutes ces années, j’ai retrouvé le téléphone de Nicole et je lui ai demandé de qui Michèle était amoureuse, à la fin. - Mais de toi, imbécile ! Jamais je n'ai eu autant de plaisir à me faire traiter d’imbécile. Jacques Gaillard est devenu célèbre comme latiniste et comme auteur. J’ai écrit à son éditeur comme on jette une bouteille à la mer et il m’a appelé 48 heures plus tard. Nous avons évoqué les souvenirs. Il avait pressenti à mon air sombre et rageur que j’étais destiné à un grand avenir.
On peut bien appeler cela une archéologie. En voici une autre. Jacques m’a envoyé son livre au titre magnifique, Rome, le temps et les choses. Quel mot extraordinaire que le mot chose, le plus pauvre de notre langue apparemment mais qui se prête à dire tant… En latin, c’est res. Je n’ai encore lu que l’Introduction. Jacques remarque trois usages fameux : respublica, la république, res gestae, les exploits et De natura rerum, le magnifique titre du poème de Lucrèce : De la nature des choses.
Après, il dit que s’il y a un miracle grec, il y a un labeur romain : voyez ces villes, ces routes, ces aqueducs, ces voûtes, etc. ! Les Grecs ont la pensée, les Romains ont la force. La force des soldats et la force des maçons. Platon, l'idéaliste, a eu l’idée d’une cité dirigée par des philosophes : voyez le résultat, la Rome des papes et le Moscou des scientifiques du socialisme ! Les Romains pragmatiques ont mis leur droit partout, ont arpenté et cadastré l’Empire, compté les oliviers et les pieds de vigne, muselé les trublions, imposé deux siècles de prospérité de l’Atlantique à l’Inde, de l’Écosse au Sahara. Ils avaient bien sûr absorbé la raison grecque pour faire toutes ces belles choses.
Comments