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Un chapitre Jésus dans un manuel de littérature ?



Je ne sais plus si je vous ai dit, mon cher lecteur, que je suis occupé à un petit essai qui s’appellera comme : D’Homère à Houellebecq, mes 12 coups de cœur. J’ai déjà fait 8 chapitres. Eh bien, ce matin, je me suis décidé : il y aura un chapitre Jésus. Voici comment j’ai justifié cette incongruité qui pourrait occuper un petit moment nos méditations de l'août :


S’étonnera-t-on d’un chapitre Jésus dans un ouvrage consacré à la littérature ? Tout dépend de la définition du mot. Il est grand temps d’abord de se débarrasser de la définition étriquée et formaliste de la littérature que le structuralisme a répandue pendant 40 ans, et de se rappeler que la première condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque chose à dire ! La vraie question est celle des moyens d’expression grâce auxquels les grandes pensées sont parvenues à structurer la conscience européenne.

On pourrait d’ailleurs retourner contre Roland Barthes et ses adulateurs l’hypostase de l’écriture à laquelle ils se sont livrés : comment se peut-il qu’un texte aussi original dans son écriture que l’Évangile soit resté en dehors de leurs radars ? Avec son langage populaire et imagé, Jésus, dans une antiquité étouffante de classicisme et de routine académique, n’a-t-il pas révolutionné l’écriture et la parole pour au moins quinze siècles, bien plus que Proust et Céline réunis au XX° siècle ? Il y a au blocage structuraliste une raison cachée, son parti pris de déconstruction était peu compatible avec l’Évangile qui a servi de pierre angulaire à tout l’édifice de la chrétienté. Encore que… Il se pourrait que l’Évangile soit en réalité un texte terriblement déconstructeur. Disons alors que le parti pris anti-historique du structuralisme lui interdisait de procéder à sa propre généalogie.

Autre objection à la présence d’un chapitre Jésus : Jésus qui a juste tracé quelques signes mystérieux sur le sable n’a pas écrit une seule ligne alphabétique. Objection futile et de mauvaise foi : à ce compte, il faudrait retrancher, le fondateur de la philosophie, Socrate, de la culture européenne, et il faudrait amputer l’Orient de son plus grand sage, Bouddha ! Bouddha, Socrate et Jésus ont laissé à d’autres le soin de transcrire leurs paroles. Que serait le monde sans Bouddha, sans Socrate et sans Jésus ?

Plus fondamentalement, il est peut-être temps de s’interroger sur la schizophrénie propre à l’enseignement français qui, depuis des siècles, étudie Jésus au catéchisme et Homère et Socrate à l’école sans jamais songer à jeter des ponts entre deux traditions parallèles qui se sont tant combattues, mêlées et entremêlées. Cette question est peut-être la question fondamentale par laquelle devrait commencer une étude de la culture européenne : par quelle progression, selon quelles pentes, sous l’effet de quels affluents et de quelles évaporations se sont produits les ruissellements de la source grecque et de la source chrétienne ?

On ne se livrera certes pas à une si vaste enquête dans un si petit essai, mais au lieu de s’étonner de la présence d’un chapitre Jésus, on soutiendra que c’est l’absence de ce chapitre dans les manuels d’histoire littéraire qui est un problème.

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