Un aperçu du paradis

Samedi soir, pendant que les Russes bombardaient Marioupol, nous, on est allé au Moulin. C’est le meilleur restaurant de Lourmarin. C’est Vincent qui payait : notre cadeau de Noël ! On s’est régalé. C’est vrai que si on ne me l’avait pas dit, j’aurais pas senti qu’il y avait de la truffe dans les tagliatelles. Mais les entrées étaient parfaites, la mousse au chocolat aussi. Le Bordeaux, au verre, très bon et le sommelier m’en a resservi un troisième verre, à l’œil ! C’est un beau lieu, pas du tout genre Relais et Châteaux avec tentures et fers forgés. Que des matières naturelles, pierre blonde et fauteuils en ficelle que Michèle n’a cessé d’admirer. Un éclairage doux et une bonne chaleur après une journée de labeur à trimballer des brouettes de paillis dans ce mauvais vent de mars, les mains rugueuses. Pas de musique importune, pas de petits footballeurs sur écran géant, pas de courant d’air dans les jambes ni de patron qui interpelle son pote à l’autre bout de la salle. Nos moindres désirs étaient immédiatement satisfaits grâce à une logistique que j’admire. Comment font-ils pour servir chacun à point nommé sans se mélanger les pinceaux ? Le personnel était empressé et souriant mais naturel et vous mettant à l’aise. Je me dis que ce genre de plaisir correspond au fantasme de chaque Français qui a guillotiné son roi juste pour prendre sa place, être traité comme un roi ou au moins comme un grand seigneur, l’espace d’une soirée.
J’irai même plus loin, une soirée si bien tempérée est une occasion rare, un aperçu du paradis. On doit vite s’ennuyer sur les pelouses. Mais, en un tel lieu, on n’irait pas tout seul. Ni en groupe, ce serait gâché. Quand on est 5 ou 6, on est trop accaparé par les éclats de la conversation pour jouir de l’ambiance. Non, ce qu’il faut, c’est la compagnie d’une femme aimable, comme dit Stendhal. (je parle en mode hétéro). De ce côté-là, je suis gâté. J’ai pensé au bon Lamartine : " Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices, oubliez les heureux. »
Merci l’Europe ! J’ai invité à dîner à la maison le 30 mars un étudiant coréen, Minsu, après sa soutenance de thèse. Il a accepté tout intimidé. Après deux années passés à Aix, il n’a jamais été invité par un Français (parlez-nous d’hospitalité) et s'excuse de ne pas connaître nos manières de table.
Et une pensée pour les esseulés et pour la babouchka qui faisait la une du Monde de samedi, surprise par le photographe au sortir de sa cave à Marioupol (et un petit chèque, bien sûr, à l'UNHCR).
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