(Re)lire Alfred de Vigny

Je viens de rédiger en trois pages le chapitre Vigny de mon petit manuel en resserrant toujours davantage de peur d’excéder le nombre de signes autorisé. Un texte domine tous les autres, Servitude et grandeur militaires, constitué de trois récits. J’ai aussi un exemplaire de Servitude, assez gondolé, dans la collection Nelson, qui avait appartenu à mon grand-père, point lettré du tout mais qui a fait toute la guerre 14 dans l’artillerie. Vigny dit son horreur de la guerre, "jouet féroce et barbare", mais où sont encore cultivées ces valeurs d’Ancien Régime que sont l’honneur, la parole donnée et le devoir. Mon grand-père parlait tout le temps dans ses lettres à sa femme de faire son devoir.

Dans le troisième récit, La Canne de jonc, pendant les journées révolutionnaires de 1830, l’auteur rencontre, la nuit, dans Paris, un vieux soldat, le capitaine Renaud, deux jours avant sa mort, qui a remplacé son fusil par une simple canne de jonc. Ayant servi sous Napoléon, il a complètement démystifié la gloire militaire et décidé de faire sa carrière dans les rangs inconnus de l’infanterie où les paysans se font faucher par milliers, et de supporter les fatigues inouïes de cette vie obscure.

Il va se faire tuer par un gamin, moins pour servir son roi, Charles X, que ses hommes.

Avez-vous lu Un roi sans divertissement et Les Récits de la ½ brigade de Giono ? C’est du Vigny tout pur ! Même densité de récit, même conduite stoïque et silencieuse de l’homme mur qui a fait ses comptes et à qui on ne la fait plus. C’est Mosca dans La Chartreuse qui ne sert Ernest-Ranuce IV ou V qu’en apparence. C’est Langlois, qui sert Louis-Philippe en apparence mais qui en réalité n’en fait qu’à sa tête. On ne changera pas le monde mais on aura fait de son mieux.

Et je n’ai rien dit encore du second récit de Servitude, Laurette ou le cachet rouge. (Re)lisez ça !