Question de style
Je me demande si le mot style n’est pas à éviter. Qu’en pense Philippe (stylisticien professionnel, pour ceux qui ne le connaissent pas) ? C’est comme le mot déco. Ça évoque tout de suite une recherche, un effet, un embellissement par-dessus le commun. Qu’on s’en félicite (Camus) ou qu’on s’en afflige (Houellebecq), on dit que certains auteurs n’ont pas de style. Michèle disait pourtant que la simplicité, c’est ce qui vient en dernier, sauf pour les cœurs très purs peut-être. La première tentation, c’est d’en rajouter. Il faut parfois toute la vie pour se décider à retrancher. C’est ce que je m’efforce de faire avec l’écriture. C’est ce que Michèle faisait avec l’architecture et le mobilier. Je n’arrête pas de régler mes comptes avec le style universitaire et intellectuel pour me rapprocher de la vraie parole, l’orale. Mais on ne peut pour autant écrire exactement comme on parle. D’ailleurs, qui parle ? D’où un travail que je dirai plutôt d’écriture, plus ou moins laborieux ou spontané, que de style.
Michèle n’aimait que la simplicité et la nature, ce qui est un défi dans un monde de plus en plus artificialisé. Le conventionnel était sa bête noire. Mais pourquoi s’en prendre aux conventions ? Mais parce qu’elles sont imposées par un standard de vie uniformisé, chimique et mécanique. Le conditionnement commercial et publicitaire finit par fabriquer une seconde nature que Pascal appelait la coutume. Et cette coutume est mauvaise : le monde ne va-t-il pas à sa perte ? Évidemment, il est futile pour un colibri de faire de la résistance. Ce sera au moins une prière que de dire : la chiennerie ne passera pas par moi, en tout cas le moins possible.
Je l’ai déjà dit, Michèle ne choisissait guère que des matériaux simples et basiques. Les terres cuites anciennes en sont la meilleure image surtout quand elles portent les cicatrices et les entailles du temps. Elle préférait souvent les formes massives aux formes élancées et fragiles. Les couleurs de la terre, notre mère, comportent toutes les nuances de beige et de brun. Les couleurs vives seront données par les fruits, les légumes, les vêtements teints, non par la chimie.
J’hésite à employer le mot minimalisme parce qu’il risque d’être entendu comme trop sec. Et en effet, le minimalisme et le fonctionnalisme n’excluront pas le geste gracieux, ni la légèreté, sous peine d’engendrer l’ennui ou la torpeur. Michèle traitait chaque espace, chaque pan de mur comme une composition. Elle aimait les consoles où disposer quelques objets, une plante, une statue de la Vierge comme sur un autel. Et ne me dites pas qu’on entrait chez nous comme dans un musée. Je vous répondrai qu’un œil exercé est sensible à une mauvaise proportion ou à une grimace comme une oreille musicale est sensible à une fausse note.
La majorité de nos hôtes étaient frappés par ces créations sans effet. D’autres ne percevaient rien comme on peut passer devant un immeuble de Fernand Pouillon sans le distinguer d’aucune production standardisée du Bauhaus. Chacun a son sens privilégié, se plaisait à dire Michèle qui ajoutait : Je ne veux pas faire de prosélytisme. D’autre encore s’en irritaient et se sentaient remis en cause. C’est leur affaire.
Donc, rien à faire du style. Mais tout à faire d’un espace où on se sente bien, tout simplement, parce qu’on est relié.
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