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Précieuse Europe


J’entendais hier en prenant mon café les nouvelles effrayantes venues du Darfour et du Burkina Faso. Vous avez vu l’état du Moyen-Orient ? Vous avez vu l’affaire du Capitole ? Et Poutine ? Et la Chine ? Et le Brésil ? Tout cela m’a suggéré de vous mettre une page du chapitre Tragédie grecque d’un travail que je suis occupé à relire :


La critique des souris a fort opportunément placé Les Perses en tête des 32 tragédies conservées, tragédie atypique, puisque c’est la seule à prendre son sujet dans l’actualité [les guerres médiques = persiques] plutôt que dans la mythologie, mais tragédie parfaitement emblématique en raison du renversement qu’elle opère : la guerre n’est pas vue du côté des vainqueurs comme dans toutes les épopées du monde, mais du côté des vaincus. Homère avait préparé ce renversement puisque l’Iliade ne comporte aucune partialité en faveur des Grecs contre les barbares troyens. Cette focale restera propre à toutes les tragédies. Dans la capitale perse, ce sont des oreilles féminines, des oreilles maternelles qui apprennent du messager le nom des chefs tués, la nouvelle de l’anéantissement de l’armée, des vaisseaux encerclés comme des thons, qui brisent leurs rames les unes contre les autres. Les femmes perses pleurent ceux à qui les unissaient des noces récentes. « Les lits, dit le chœur, sont trempés de larmes. Chacune regrettant son mari, reste solitaire, ayant perdu le brave guerrier compagnon de son lit couvert de molles draperies, lieu de toutes les voluptés de la jeunesse." L’ombre de Darius prie la reine d’accueillir et de consoler le vaincu. Bien sûr, la pièce ne manque pas de rappeler que Salamine scelle la victoire de la démocratie. « Nul mortel n’a les Athéniens pour esclaves ni pour sujets, répond le chœur à la question de la reine Atossa. Chez eux, la langue des hommes n’est plus emprisonnée. Le joug de la force a été brisé, le peuple affranchi exprime librement sa pensée. » On croit entendre Périclès ou Démosthène. Les Barbares sont nommés tels que les nomment les Athéniens : les Barbares ! « Chez Homère, note Jacqueline de Romilly, il n’y avait aucune différence de culture, ni religieuse ni politique, entre les Achéens et les Troyens. Les Athéniens ont pris conscience de la liberté politique qui était la leur après les guerres médiques qui les ont opposés à un peuple qui obéissaient à un roi : des barbares ! » De ce point de vue, il y a rupture par rapport à l’Iliade. On aboutit au paradoxe de Montesquieu : Comment peut-on être Persan ?

« Les Persans, dit en somme Eschyle, sont des hommes qui souffrent comme nous souffririons si nous étions vaincus mais un différentiel profond nous sépare : ce sont des barbares / nous sommes des démocrates. » Un pas a été franchi de la guerre de Troie aux guerres médiques. La tragédie est inséparable de la démocratie au sein de laquelle elle est née et au sein de laquelle elle est représentée à quelques centaines de mètres de la Pnyx.

Alors, Europe = pitié envers les vaincus + démocratie ?


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