Pas d'accord, Monsieur Compagnon !
L'autre jour, Finkielkraut avait mis Proust au programme de son émission, émission assez confuse d'ailleurs. Il y en a un qui m'a particulièrement énervé, c'est Antoine Compagnon, co-éditeur de la Recherche en Pléiade, Professeur au collège de France, successeur de Marc Fumaroli à la présidence de la République des Lettres. Il a trouvé le moyen de dire que La Recherche du temps perdu était le seul roman qui finissait bien sous prétexte que « la vraie vie, c’était la littérature ».
Je ne discuterai pas le fait que ce soit le seul ou pas le seul, mais le fait que la Recherche finisse bien. Non, c'est un cauchemar ! La conclusion de Proust, c'est que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. L’amour est une illusion, l’amitié est une illusion, les relations sociales sont des illusions. Chacun est enfermé dans sa bulle imaginative et quand il en sort, il se casse les dents sur la dure réalité. L’autre n’est pas du tout ce qu’on a cru. Si on a le malheur de l’approcher comme le narrateur qui séquestre Albertine dans son grand appartement, on est condamné à la décristallisation. Comment se débarrasser d’Albertine, maintenant ?
Flaubert avait déjà dit cela dans ses deux Éducation sentimentale et Nerval dans Sylvie. En fait c’est tout le romantisme qui a répandu l’idée que le monde moderne était horrible et qu’il n’y avait qu’une issue, le saut dans l’art pur. Je suis le premier à critiquer le monde moderne mais pas à tomber littéralement dans un tel nihilisme.
Le plus drôle, c’est que le structuralisme, Roland Barthes en tête, a remis en selle l’idée que l’œuvre devait être coupée de la vie réelle, que c’était un monde clos sur lui-même, autonome, sans rapport avec le monde extérieur. Ce Roland Barthes est un gros Tartuffe qui a épousé toutes les modes de son temps, à commencer par le stalinisme, et puis qui, après, a fait les Sainte Nitouche et a mis des manchettes linguistiques et sémiologiques pour disséquer les textes. Le plus fort, c’est que ça a marché dans l’ambiance de déconstruction qui a suivi 1968. Les professeurs d’université ont suivi comme des moutons de Panurge et les étudiants aussi au temps, où il y en avait encore en Lettres.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, Antoine Compagnon a écrit Le Démon de la théorie, mais n’a pas purgé sa vieille camaraderie avec Barthes. La preuve…
Eh bien, non, le saut dans l’art pur n’est pas du tout une happy end, c’est un geste désespéré réservé à quelques déprimés. Nous avons besoin au contraire d’auteurs qui nous aident à vivre et pas qui nous plantent là, en rase campagne. Et Momo, vous y avez pensé, M. Compagnon, à Momo, qui travaille depuis un mois à refaire notre salle de bain, à vérifier la pente des canalisations et à limer des marbres ? Et aux 99 % des Français qui n’ont jamais lu une ligne de Proust ? Et tous les êtres humains qui ont vécu avant Gutemberg, seront-ils damnés comme Saint Augustin damnait toutes les générations antérieures au baptême ? Allons-nous enseigner aux élèves de seconde que la vie est une erreur ? Pas de danger qu’ils s’inscrivent en fac de Lettres après.
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