Où sont les caboins ?

Un livre, c’est d’une austérité folle : des millions de petites fourmis que se courent après sur des centaines de pages grisâtres sans couleur ni odeur. J’ai pourtant en tête un texte d’Aragon, Dieu sait que je ne l’aime pas, qui compare la lecture à un tapis volant. Il dit qu’au début, on est au ras des mottes mais que, tout d’un coup, hop, on oublie l’immédiat : c’est qu’on a décollé, et on entre dans un autre monde. Oui, mais souvent, il faut tirer et pousser, comme un avion qui n’arrive pas à décoller.
Ça m’est arrivé trois fois depuis Mai . D’abord, j’ai pris Kaputt de Malaparte (/Bonaparte). Je suis arrivé au bout, mais en me forçant. L’auteur a mon estime. C’est aussi fort que Les Bienveillantes de Littell mais le tapis n’a jamais vraiment réussi à prendre de la hauteur. Je voyais tout le temps les petites fourmis.
Alors, j’ai pris Gombrowicg sur la recommandation de Kundera. Le nom de Gombrowicg me faisait beaucoup d’effet. C’est pas mal, très fantasque, plein d’inventions. N’empêche qu’au bout de 80 pages, je ne voyais plus que la monotone théorie des petites fourmis à la queue leu leu.
Alors, j’ai pris Le Maître et Marguerite de Boulgakov. Au début, ça m’a plu. C’est fantasque et très fin. Avec un sens du détail qui tue et des expressions qui font mouche. Mais de là à me taper 600 pages de fourmis à disséquer, je me tâte…
J'ai aimé un numéro de magie noire donné par le diable en personne. Il déverse une pluie de billets de banque sur la salle et tout le monde se piétine pour en avoir. Après, il propose des vêtements féminins de Paris, des chaussures, des chapeaux, des robes, etc. Après quelques hésitations, toutes les femmes se précipitent vers les vestiaires pour échanger leurs vieux vêtements contre ces tenues tombées du ciel. Mais, un fois dans la rue, leurs belles robes s’évaporent et elles se retrouvent dans le plus simple appareil… Vous aimez les farces potaches (j'adore) ?
Y a une scène qui m’a encore plus fait rire : Voilà, il y a eu des disparitions mystérieuses dans un immeuble collectif, comme il s’en produisait à Moscou dans les années 30, et il y a des dizaines de candidatures pour l’appartement n° 50. L’agent du diable se présente au gérant et lui fait comprendre que son maître est millionnaire, qu’il a une villa à Nice à tomber bouche bée et qu’il paiera… 500 roubles par jour ? Non 5000 roubles… ! Ça alors, et, même, le gérant aura un petit acompte perso tout de suite, enfin une belle liasse. Personne ne le saura : il n’y a pas de témoins. Le gérant, malgré une petite épine au cœur, rentre auprès de sa femme et va fourrer son paquet dans le trou d’aération des cabinets. 5 minutes après surgit la police qui s’écrie Où sont les caboins ? Le magot est saisi et le pauvre gérant est à ajouter à la liste des disparus…
À ce vieux mot de caboins que je n’avais plus entendu depuis des lustres, je me suis réveillé... Et vous, à propos, qu’est-ce que vous avez pris, pour les vacances (à part mes billets, bien sûr ?)
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