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Nos histoires de famille


Vous n’en avez pas, vous, des histoires de famille ? Qui n’en a pas ? La grande découverte de la modernité, avec Rousseau, c’est qu’il faut remonter à l’enfance pour comprendre les choses. Second préalable : nous avons trois organes directeurs : le sexe, oui Freud, l’estomac, oui Marx, et l’amour-propre, oui, Bruno, puisque tu en parles toujours, ou si vous préférez le besoin de reconnaissance.

Quand je regarde mes histoires de famille comme vous regardez les vôtres, qu’est-ce que je vois ? Commençons plutôt par ce que je ne vois pas. Je ne vois pas de sexe. Je n’ai jamais eu envie de coucher avec ma mère, vous si ? et je n’ai jamais eu peur que mon père me le coupe, vous si ? Donc exit l’Œdipe. Reste l’amour-propre et l’estomac. Commençons par l’amour-propre vu que, dans notre hémisphère, la plupart des enfants mangent à leur faim depuis au moins un siècle : ce qu’on voit tout le temps, ce sont des jalousies entre frères et sœurs quand l’un a été préféré ou s’imagine avoir été préféré par les parents. Tous les curés vous le diront après confesse. C’est pas difficile, la psychanalyse !

Reste l’estomac, je veux dire l’argent, et c’est un peu là que je veux en venir. Grosse affaire aussi, tous les notaires vous le diront après succession. Regardez Le Chat botté (et non bitté comme Marc Soriano croit malin de le dire dans sa Psychanalyse des contes de fées !) : un fils a eu le moulin, son frère l’âne, le dernier le chat. Comment ne pas être jaloux ? Aujourd’hui, les uns sont en libéral, par exemple médecins ou commerçants, les autres sont fonctionnaires, par exemple profs, les autres encore contestent le système, par exemple les néo-ruraux ou les gens de théâtre. Quel regard bienveillant ou malveillant vont-ils jeter les uns sur les autres ?

Vous allez me dire que c’est eux qui ont choisi leur route alors que c’est le meunier qui était responsable des parts inégales de ses héritiers. Mais il ne faut pas exagérer avec la liberté car il y a des donnés (c’est plus fort au masculin) incontournables comme la place dans la fratrie : les aînés reproduisent davantage le modèle parental et les cadets divergent, justement parce que les aînés ont servi de paravent. Il y a aussi les donnés naturels comme la délicatesse par rapport à l’organique, à l’élégance des gestes, à l’ordonnance des choses, qui induit des styles de vie et des goûts différents. Il y aussi les donnés politico-religieux qui opposent parfois les voisins, les époux ou les frères et sœurs jusqu’à les placer sur les deux bords opposés quand éclate la guerre civile. Voyez le trumpisme ou l’affaire Dreyfus, voyez Mai 68 ou chacun se trouvait classé comme dirait Bourdieu, selon son degré de désembourgoisement.

Ce qui me frappe, c’est que les choses n’ont pas besoin d’avoir été dites pour créer le malaise. Les non-dits sont aussi éloquents que les paroles, compte tenu du sismographe ultrasensible que nous avons tous dans la poitrine et qui permet de mesurer le degré de confiance dont on jouit, ou pas, auprès de chacun. Mais le sismographe est lui-même sujet à toutes les sur-interpétations. C’est bien, ça…

Conclusion : accepter les différences car nous sommes tous, comme je l’ai entendu dire un jour par Albert Cohen, d’innocents résultats.

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