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Nos ennemis les Romains ?



Visite au Pont Gard, il y a trois semaines, avec les petites. Une vidéo montrait les centaines d’esclaves qui portaient des couffins comme des fourmis et hissaient des blocs avec des machines. Tout en haut, un contremaître frappait un esclave à coups redoublés jusqu’à ce qu’il tombe et aille s’écraser tout en bas sans que personne y prenne garde. Péguy avait fait des Romains « ses ennemis personnels ». Mais du temps où je lisais Gabriel Matzneff, je me souviens qu’il parlait de « l’exquise civilisation romaine » comme Nietzsche parlait de « l’exquise civilisation arabo-musulmane ». C’est le « côté salle de bain » qui plaisait à Matzneff.

Ce Pont du Gard alimentait la ville de Nemausus (Nîmes) en eau pour les fontaines, bassins, thermes, vespasiennes, comme on disait à l'époque. « À Rome, le véritable artiste, c’est l’ingénieur » : cette phrase d’Élie Faure m’est restée. Quels constructeurs, ces Romains ! Des routes, des ponts, des viaducs, des thermes, des théâtres, des amphithéâtres qui entourent tout le pourtour de la Méditerranée de leur sinistre collier.

Je vous ai mis, mon lecteur, la stèle funéraire d’un tailleur de pierre nommé SPINUS avec tous ses outils pour dégager un bloc dans la carrière, l’équerre, le pic, le maillet et le burin. Avec le pic, il pratique une entaille tout autour du bloc donc il a tracé les contours. Plusieurs jours de travail, si le bloc est gros. Une entaille qui doit avoir la largeur de sa jambe. Il faut ensuite détacher le bloc par en-dessous. Je ne sais pas comment fait l’ouvrier pour enfoncer trois burins sous le bloc qui finit par se détacher tout seul. Les finitions seront faites sur le chantier.


Après, je tombe sur une citation de Tocqueville qui raconte son passage à Manchester en 1835. On n’a pas beaucoup progressé depuis les Romains : « Levez la tête et vous verrez s’élever les immenses palais de l’industrie. Vous entendrez le bruit des fourneaux, les sifflements de la vapeur. Une épaisse et noire fumée couvre la cité. Le soleil paraît au travers comme un disque sans rayon. Mille bruits s’élèvent incessamment du milieu de ce labyrinthe humide et obscur. C’est au milieu de ce jour incomplet que s’agitent sans cesse 300 000 créatures humaines. »


Flora Tristan décrit de même en 1829 la vie des ouvriers à Londres ravagée par le charbon. « C’est le combustible de l’enfer arraché aux entrailles de la terre, avec son énorme masse de fumée surchargée de suie qu’exhalent des milliers de cheminées de la ville-monstre. Le nuage épais dont Londres est enveloppée ne laisse pénétrer qu’un jour terne et se répand sur tous les objets. On a la tête douloureuse et pesante. On est saisi par ce que les Anglais appellent le spleen. » (Promenades dans Londres)

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