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Ne pas avoir vu le cinéma de Ray revient à exister dans le monde sans avoir vu le soleil ou la lune



Je ne suis pas loin de souscrire à cette déclaration d'Akira Kurosawa après avoir revu Le Salon de musique. Je revenais de la campagne, ayant tout le jour travaillé dans mon aire, un plein panier de grenades au bras, quand Michèle m'a fait violence en annonçant qu’il ne fallait pas rater ce film qui passait pour le dernier soir sur Arte. J’ai tenu jusqu’au bout, de plus en plus attentif. Satyajit Ray est le Visconti indien. Le Salon, c’est Le Guépard au Bengale, ou l'inverse. Même splendeur. On en trouve assez facilement un long extrait en ligne, la scène du concert, qu’il faut voir au moins deux fois. Faites « Le Salon de musique Ray » et cliquez sur vidéo. Faites-le s’il vous plaît, mon cher lecteur bénévole, si vous voulez me faire plaisir et ne me dites pas que vous n’avez pas trouvé !

Le joueur de cithare semble un peu efféminé malgré sa barbe et les auditeurs dodelinent légèrement de la tête, complètement shootés. Seul le maître de maison ne dodeline pas. Le lustre se balance, on voit des éclairs par la fenêtre, un insecte se débat, tombé dans un verre de sirop. Le maître se lève habité par un pressentiment et, en effet, le drame est à sa porte.

Palais hybride de style carrément européen habité à l’indienne. Je ne saurais pas bien qualifier le mobilier. L’épouse baise les pieds de son seigneur et maître et les serviteurs n’en reviennent pas, à la dernière scène, de voir que son sang est le même que le leur. Louis Dumont. Le nouveau riche est derrière la porte, attendant son heure, comme chez Balzac ou chez Visconti. Calogero s’appelle Ganguly. Tragédie familiale, le film peint aussi les derniers feux d’une caste sauf que, là, tout ne changera pas pour que tout demeure…

Je suis justement occupé à lire Un Barbare en Asie d’Henri Michaux qui m’a l’air diablement suggestif. Je lis : " Sa femme adore l’Hindou. Elle ne mange pas avec lui. Mais lui vénère son enfant. Il appelle son fils papa et même parfois, délicieuse soumission, il l’appelle maman."

Je l’avoue, la décadence me fascine. J’ai pensé à Stendhal. Stendhal était jacobin. Il voulait le bonheur du peuple mais le peuple lui répugnait et il fait dire à Lucien Leuwen :


Je m’ennuierais en Amérique, au milieu d’hommes parfaitement justes et raisonnables, mais ne songeant qu’aux dollars. Je ne puis vivre avec des hommes incapables d’idées fines, si vertueux qu’ils soient. Je préfèrerais cent fois les moeurs élégantes d’une cour corrompue. J’ai besoin des plaisirs donnés par une ancienne civilisation.


Dans Le Salon, ce plaisir est la musique comme plus tard dans un autre film, Titanic.

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