Marseille Nord / Sud
Jusqu'à 20 ans, j'étais un jeune homme naïf. Quand mai 68 a éclaté, j'ai mordu à l'hameçon comme il se doit, mais toujours avec une pensée de derrière. Cette pensée de derrière n'a cessé de s'amplifier de façon clandestine. Difficile de résister au torrent. En un sens, les communistes n'étaient pas les pires en dépit de leur erreur totale car c'étaient des constructeurs idéalistes. Non, les pires, c'étaient les déconstructeurs qui fourmillent encore dans l'Éducation nationale et chez les intellos en général, mon milieu naturel, et qui donnaient la note, la seule note audible. La seule posture convenable était celle de la critique et de l'ironie envers la morale, la famille, la religion, la nation et la littérature, ma spécialité. Bien sûr, tout cela méritait d'être révisé et sans cesse mis à jour, mais avec un bistouri, pas avec une pioche.
Le résultat ? Lisez Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu : une génération d'adolescents qui n'ont que 3 idées dans la tête, la baise, une bière et une mobylette. Et 1000 mots pour dire cela et s'insulter. Vous allez me dire que ça se passe dans un coin de Lorraine complètement paumé depuis la délocalisation des aciéries. C'est exactement à cela que je voulais en venir : déconstruction gauchiste et mondialisation capitaliste, même combat.
À Marseille, c'est pareil. Hier, je suis allé au cinéma pour la première fois depuis plus d'un an.
Bonne Mère raconte l’histoire d’une mère courage, une femme de ménage qui galère pour nourrir ses trois enfants dans nos quartiers Nord où on vient de relever un quinzième tué par balle avant-hier. La frontière, c’est la Canebière. Au Sud, ce sont les beaux commerces de la blanchéité, au Nord, c’est le désordre et la diversité. Personnellement, j’aime bien m’encanailler au Nord, mais je vis bien à l’aise au Sud et, comme vous pensez bien, je ne mets jamais les pieds à La Castellane. Mais on peut visiter par le cinéma, en voyant BAC Nord et Bonne mère. Très instructif dans les deux cas. Vue imprenable sur la mer, mais les cages d’escalier, les voitures brûlées, les barrages de poubelles, les guetteurs encagoulés sur une chaise… Je vous raconte pas, mais le plus qui m’a frappé, c’est comment ils parlent. On n’y comprend rien, disons 50 %. Même les flics sont obligés de parler comme eux. Ne parlons pas de la syntaxe, Seigneur ! Le vocabulaire, on peut l’apprendre, putain d'ta mère, je nique tes morts, enculé d'ta race, etc., et pour les filles, j'm'en bats les couilles, mais le plus difficile, c’est l’accent qui n’est plus du tout l’accent méridional à la Pagnol, mais je ne sais quel créole chuintant avec son phrasé spécifique. Une langue étrangère.
En sortant du cinéma, j’ai descendu la Canebière pour prendre le 41 cours d'Estienne d'Orves, ce héros. Les 100 derniers mètres étaient bordés de panneaux illustrés de tatouages et de coiffures afro à exécuter sur place pour 10 ou 20 euros. Tout le monde était cool et gentil. Question religion, il y a le rap, j'ignore si l'islamisme a une forte emprise au Nord et je me demande laquelle ont gardée les jeunes du Sud à part de commerce.
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