Mai 68, quel désordre dans les familles !

Côté lutte des classes, Mai 68 fut un plouf assez ridicule, les derniers feux d’un marxisme-léninisme agonisant sous les trois espèces brejnevisme / trotskisme / maoïsme. Bilan égal à zéro. Le vrai printemps était à Prague.
Par contre, j’en parlais hier au téléphone avec Annick, Mai 68 fut un douloureux conflit de générations : la famille fut dénoncée comme le lieu de tous les préjugés, stéréotypes et conventions. La libération sexuelle était la grande affaire. Jouissez sans entraves / Il est interdit d’interdire / Sous les pavés la plage. Ce sont les filles, plus soumises que les garçons qui en ont tiré le plus de profit. Pas de rapports sexuels avant et hors mariage sous peine de honte et d’exclusion sociale ? Vieux préjugé ! Les règles dix fois millénaires de la pudeur furent envoyées aux orties avec les soutifs. Finis, les anniversaires tous ensemble : une collaboration avec l’ennemi. La fête des mères ? Une invention de Pétain ! L’amour maternel ? Un truc inventé par les bourgeois. Les hommes pouvaient bien caresser les petites filles, quand même ! Même chose pour la pédagogie. Les profs par la fenêtre ! Monsieur le professeur, vous nous prenez pour des gogos ! À la fac, les étudiants organisaient des contre-cours. On discutait si le latin était une langue bourgeoise et l’agrégation fut boycotté pour cette raison. Quand nous avons réussi ce concours, nous nous sommes entendu dire : Maintenant, vous êtes perdus ! par une contestatrice qui nous recevait... à poil. On a rejoué tout ce que Flaubert avait ridiculisé dans son Éducation sentimentale en 1848.
Conflit entre les générations, mais aussi conflit à l’intérieur de la génération 68 selon le degré d’engagement dans la contestation. Moi, disons que j’étais moyen : j’étais proche du PC mais j’avais un frère et une sœur plus engagés et une belle-sœur moins engagée car les facs de Médecine ont été moins impactées que les facs de Lettres. Donc à la fois accusateur et accusé des deux côtés. Il en découlait tout un codage des façons de s’habiller, de penser, de se divertir, de faire l’amour. Des styles de vie qui s’ostracisaient mutuellement. Et des silences lourds d’exclusion. On se jaugeait, on se jugeait, on se dévisageait.
Aujourd’hui, tout ça est fini. On a tout aplani. Un ordre moral coexiste curieusement avec le libéralisme sexuel. Les filles sont plus pudiques que leurs mères mais elles font ce qu’elles veulent sans que personne ne songe à y redire. Il n’y a plus de conflit de générations, puisque ce conflit a été réglé au profit des grands-mères...
J’en parle souvent avec ma sœur et ma belle-sœur après ces d’années de recul. Combien de tours a fait le kaléidoscope ! Les ostracismes ont disparu, on a même honte d’y repenser. L’avant-garde est devenue complètement ringarde. Mais les blessures laissent toujours une cicatrice et il n’est pas sûr qu’une vie suffise pour les oublier…
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