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Leurs enfants après eux



Michèle dit que, pour l'opiniâtreté, je ressemble au scarabée bousier, vous savez, celui qui est toujours en train de pousser sa boule, de plus en plus grosse, faite de tous les déchets qu'il peut ramasser. C'est vrai.

Je viens de relire une dizaine de pages de notes que j'avais prises de l'œuvre en prose de Péguy, il y a peut-être vingt ans. Ça fait trois gros tomes dans La Pléiade. J'ai donc relu ces notes et j'ai fait un travail de copie des passages clés. Rien de mieux que la copie pour se mettre dans la tête la pensée et le style d'un auteur. J'ai donc maintenant dix pages dactylographiées. Si ça vous intéresse, mon lecteur, faites-moi signe. Je vous les envoie. Peu d'auteurs donnent autant que Péguy à penser sur notre destinée.

Voici les dernières lignes que j'ai copiées, qu'il a dû écrire peu de temps avant de se prendre une balle en plein front, c'est la cas de le dire, en août 14.


La lutte mortelle n’est pas entre le monde chrétien et le monde antique. La lutte est entre le monde moderne, d’une part, et, d’autre part tous les autres mondes ensemble. Les autres mondes ont été des mondes de quelque spiritualité. Le monde moderne seul, étant le monde de l’argent, est le seul monde d’une totale et absolue matérialité.


Tac !

Il me semble que pour comprendre le monde moderne, le nôtre, il faut en sortir et le comparer aux autres mondes. Sinon, notre monde nous paraît normal, naturel, allant de soi. Péguy veut dire que le monde antique et le monde chrétien, étaient vraiment des mondes, alors que le monde moderne n'est pas vraiment un monde dans la mesure où il est complètement destructuré. C'est comme si on comparaît un tas de sciures à des charpentes, quel que soit leur schéma.

À un autre moment, Péguy dit que, quand il était petit, à l'école de la République et au catéchisme , il recevait des enseignements complètement opposés, mais que ça ne faisait rien. "Qu’importait, pourvu que ce fussent des enseignements." Sous entendu, maintenant, on n'enseigne plus rien du tout sauf à écrire et à compter.

Péguy parle de spiritualité. En réalité, c'est un grand mot qui ne veut rien dire. Il parle aussi beaucoup d'âme charnelle pour dire qu'il n'y a pas d'âme sans chair. Donc, ce qui manque dans le monde moderne, ce sont des principes, des valeurs, du sens. Ce n'est qu'en regardant les autres mondes qu'on peut s'en rendre compte, en essayant d'imaginer ce qu'étaient les rituels, les tabous, les fêtes, les initiations, les croyances, les respects, les mythes, les honneurs, les ancêtres, les mariages. Tout ça, c'étaient des bêtises..., voilà au fond ce que nous pensons.

Le problème, c'est que nous n'avons pas remplacé ce que nous avons détruit : nous sommes libres ! Mais seuls, parce qu'on n'a pas calculé que, si discutables que soient chacune de ces croyances prises froidement, elles avaient un effet collatéral qui était peut-être l'essentiel, c'est de relier, de créer des communautés et des appartenances.

Conclusion : nous sommes à poil ! Et ça vient de ce que nous sommes de mauvais héritiers. Nous avons dilapidé un patrimoine multimillénaire sans même en faire l'inventaire, un inventaire critique évidemment, alors que nous avons encore à portée de main exactement ce qui manque aux jeunes complètement pommés que décrit Nicolas Mathieu dans Leurs enfants près eux.


 

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