Les esprits fraternels et les petits bourgeois
Vous avez lu L'Idéologie allemande ? Marx dit que la culture est une superstructure et que ce qui compte, c’est l’infrastructure, les rapports de production, la lutte des classes, l’argent, le matériel. J’ai été frappé quand j’ai lu ça parce que ça découronnait tout le bavardage religieux, universitaire, médiatique, les grandes idées qu’on respecte parce qu’on n’a pas les moyens de les contester, mais auxquelles on n’adhère pas vraiment et qui finalement nous embêtent. Marx remet les pendules à l’heure, rappelle que nous avons tous un estomac et que la première des choses, c’est que la gamelle soit remplie. Les grandes idées, on verra après. La morale, la religion, l’art ne sont que des reflets de la situation économique, injuste d’ailleurs, de chaque époque. C’est le contraire de Platon avec son histoire de caverne. Parce que chez Marx, la superstructure n’est pas super du tout. Elle est en haut si on veut, mais comme des bulles qui vont bientôt éclater et s’évaporer. Les choses sérieuses se passent dans la cale du navire, dans la soute.
Je continue à trouver intéressant le schéma de Marx. C’est vrai que quand on entend les gens parler, on se dit souvent qu’ils ont juste les préjugés de leur milieu et de leur époque et que ça ne vaut pas lourd.
Je vais pourtant essayer de renverser le schéma de Marx. Ce qu’il voulait, c'était faire une révolution matérielle pour donner les moyens de production aux pauvres. Il dit d’ailleurs que ça va se faire presque tout seul en vertu des lois de l’histoire qu’il a découvertes de manière scientifique. C’est vrai que des révolutions se sont produites en Russie, en Chine et dans plein d’autres pays, mais c’est au prix du formidable effort de volonté d’une minorité agissante et aussi d’une propagande à laquelle le peuple a cru avant de s’en dégouter. C’est donc la volonté qui fait que ça réussit ou que ça ne réussit pas. On retombe dans la psychologie, dans l’éducation, bref dans la culture qu’on avait chassée par la fenêtre et qui …
Pour réussir n’importe quelle réforme ou révolution, par exemple la révolution écologique, encore faut-il que les hommes le veuillent par leur intelligence, par leurs désirs et par leurs cœurs. Sinon, ça ne marchera jamais. Dans ces conditions, c’est sur l’éducation qu’il faut mettre l’accent et donner la parole aux grandes voix de l’histoire, à des gens comme Bouddha, comme Socrate, comme Jésus, comme Montaigne, comme Molière, comme Hugo, comme Ghandi. À chacun de compléter la liste. Non seulement ces gens-là ne ressassaient pas les préjugés de leur époque, mais ils les démolissaient et proposaient d’inverser le mode de classement habituel qui donnait la priorité aux riches et aux puissants. Alfred de Vigny les appelait les esprits fraternels, Marx les traitait de petits bourgeois. Il faut choisir.
Photo : Alfred de Vigny
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