Le sport est-il inhumain ?
À midi, pour exciter les enfants (comme s'ils en avaient besoin!), j’ai dit tout à coup : le sport, c’est comme les animaux. J’ai failli me faire massacrer ! On m’a dit que le sport, c’était un jeu tandis que les animaux ne jouent pas, sauf les chats. Alors j’ai dit que le sport, c’était toujours pareil tandis que la chimie, la mécanique ou la littérature, ça progresse sans cesse. Alors, on m’a dit que les règles du foot avaient changé et d’autres sport aussi. J’ai dit d’accord, mais une fois les règles fixées, c’est toujours la même chose. On m’a dit Non : chaque match est différent. J’ai dit que les chats aussi ne faisaient jamais deux fois la même cabriole mais qu'ils étaient les mêmes de génération en génération.
Je ne plaisante pas. J’ai regardé un match de basket. C’est le sport qui m’intéresse le plus avec la course de fond car j’en ai fait jadis. J’ai vu plusieurs belles actions, une feinte, une passe aussi tendue qu'inattendue et un panier implacable. Plaisir. Mais je ne sais plus si c’est un Français ou un Australien qui a marqué. Au bout d’un moment, je suis parti reprendre ma maçonnerie en me disant que des beaux gestes, au basket, il s’en accomplit des millions chaque jour dans le monde comme au foot et dans n’importe quel sport. On est donc dans la répétition, quelles que soient les nuances. C’est comme les animaux. L’oiseau fait toujours le même nid depuis 40 millions d’années. Chaque animal reproduit instinctivement les mêmes conduites la vie durant. Faustine m’a dit C’est pas vrai, les espèces évoluent ! Je lui ai Tu as raison, mais moi, je parle à l’intérieur d’une espèce donnée. L’homme invente sans arrêt des nouvelles choses. Les bêtes tournent en rond comme le hamster dans sa cage.
Suis-je un mauvais Français ? J’ai admiré une athlète qui a gagné un 10 000 mètres, mais ça m’était bien égal qu’elle fût française, ce qui m’a plu, c’est sa magnifique machine, ses longues cuisses musclées, la souplesse de ses enjambées quand ses poursuivantes commençaient à cahoter, l’aisance avec laquelle elle les a distancées de 6 grandes secondes.
Dans le 100 mètres, on ne voit rien, mais dans le 5000 ou dans le 10 000, on perçoit dans l’espace et dans la durée la puissance à l’état pur. Je n’oublierai jamais une petite fourmi japonaise qui, à la fin du marathon de Tokyo, a doublé une grande Allemande, pourtant favorite, qui s’est écroulée sur le poteau 100 mètres derrière.
Donc, les jeux m’ennuient vite parce que c’est toujours pareil, les mêmes dribbles, les mêmes passes, les mêmes shoots, répétés à l’infini avec une monotonie mortelle.
Mais quel bonheur de voir un geste magnifique superbement filmé, pas assez à mon goût car les commentateurs ne pensent qu’à pousser des cris quand un Français a gagné. Ce qui me plaît, c’est que les jaunes, les noirs, les arabes, les caucasiens, etc., se soumettent à la même règle de fer, celle de l’arbitre, sans la moindre protestation. Les sentiments de supériorité ou d’infériorité n’ont plus leur place. La race humaine est une depuis sapiens sapiens.
Photo : Le Kényan Charles Kamathi, à gauche, observe l'Éthiopien Haïlé Gebresélassié avant de porter son attaque décisive. Atlanta, 1996.
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