Le Professeur et la Sirène
Moi, je croyais que Lampedusa était l’homme d’un seul roman, Le Guépard, comme Laclos avec ses Liaisons dangereuses. Non, m’a dit Gisèle, il a aussi écrit Le Professeur et la Sirène, une nouvelle. Je file à l’Alcazar. Déception : rien de Lampedusa ! Il fallait chercher à T comme Tomasi di Lampedusa. Je cours m’attabler au 1860 contre la Bourse, où on domine le Vieux-Port et la Canebière, je rajoute la galette du siège à côté contre mon dossier et j’entame la lecture.
Tout à coup, survient une sirène, je veux dire la serveuse, qui, avec un accent étranger, me demande quel est mon livre. Elle avait lu Le Guépard, ce qui est rare chez une sir… chez une serveuse. Je lui raconte l’histoire de ce vieux professeur de renommée mondiale, dégouté des femmes, toutes laides, bêtes et égoïstes, d'après lui, grand spécialiste de grec ancien, qui termine tristement ses après-midis dans un café de Turin où il n’y a que des fantômes. Il finit par déballer son sac : à 20 ans, il était beau comme un Apollon mais ne pensait qu’à ses études jusqu’à aller passer 2 mois dans une île sauvage pour préparer ses examens de grec, s’accordant juste un petit tour de barque en soirée. Un jour, il sentit sa barque pencher sur le côté et vit une magnifique jeune fille émerger, ruisselante, seins nus, et venir l’enlacer. C’était une sirène ! Ils vécurent deux mois de bonheur parfait comme Ulysse avec Calypso (l’auteur ne dit pas comment on s’y prend avec une sirène) jusqu’à la date de l’examen.
Sans transition, la si…, la serveuse m’a raconté qu’elle s’était fait psychanalyser à partir des 11 schémas précoces de Jung. Jamais entendu parler ! Après enquête, c’est plutôt le psy américain Jeffrey Young qui montre que les conditions de l’enfance inscrivent chacun dans un schéma précoce dont il est ensuite difficile de se dépêtrer. Pas bête…
Pour revenir à T de L, j’ai trouvé son histoire complètement idiote jusqu’au moment où j’ai compris qu’il voulait dire que le professeur avait été victime d’un schéma précoce et avait manqué sa vie à force de s’abandonner aux hallucinations provoquées par les études…
Attention aux livres… Mais Cervantès et Flaubert l’avaient déjà dit.
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