Le défaut est dans la jointure

La plupart de nos contemporains vieillissent dans la solitude et le non-sens. Or on vit de plus en plus vieux et les jeunes croient qu’ils auront tout dit quand ils auront construit des hospices confortables. L’angoisse des vieux est secrète. Ils ne peuvent rien dire. Ils n’ont pas les mots et nul ne voudrait les entendre. Je suis pessimiste ? Gare pourtant à l’illusion optimiste. Qui écoute ce qui se tait au fond des bouches closes ? La télé et les réseaux sociaux ne tendent le micro qu’à une minorité passagère de jeunes et de gagnants. Mais que ruminent les vieux, les déprimés, les malades, les esseulés, les trop moches ?
Forcément le problème des vieux est le problème des jeunes, non seulement parce que les jeunes deviendront vieux mais parce que leur propre vie est mal construite. Les vieux sont évidemment des jeunes qui ont duré. Ce sont les mêmes et c’est sur le défaut de la société moderne que je mets le doigt.
Les sociétés de la tradition étaient obsédées (comme leur nom l'indique) par le souci de transmission à l’identique. On a fini par y étouffer et la société moderne s’en est libérée avec de bonnes raisons mais elle n’a fait qu’inverser le problème. L’angoisse de l’absurde a succédé à l’angoisse produite par l’oppression religieuse et familiale. Nous nous retrouvons donc coincés entre une tradition dont les défauts sautent aux yeux et une modernité que peu de gens défendent encore. Le défaut se trouve à mon avis dans le passage manqué de l’une à l’autre.
Ce problème passe sous le radar de la plupart des sociologues pour deux raisons qui n’en font qu’une. Au XX° siècle, le libéralisme et le socialisme étaient d’accord pour faire du passé table rase. Ils s’entendaient aussi pour ne s’occuper que d’économie. La question du sens de la vie n’est pas posé ! Je ne connais que deux auteurs qui aient réfléchi profondément à tout cela, Pierre Leroux et Charles Péguy. Ils sont, comme il est logique, aussi détestés par les traditionalistes catholiques que par les intellectuels déconstructeurs. Leur métaphore favorite n’est pas métallurgique comme quand on raboute deux rails de chemin de fer, elle est organique, c’est celle du vieux tronc dont un bourgeon surgit dans le creux de l’aisselle.
(à suivre)
Photo : Steve McCurry. La Sucrière, Lyon, 15 février 2019.
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