La plus petite séquence d'un immense réseau
J'ai été frappé, il y a 30 ans peut-être, par Marguerite Yourcenar qui disait que, quand elle tournait la sauce blanche avec une cuillère à pot, elle pensait au bûcheron qui avait abattu l'arbre, à la scierie où... à l'artisan qui…, au circuit commercial par lequel... jusqu'à ce que cette précieuse cuillère aboutisse dans sa marmite.
Hier soir, à la télé, on a vu des plongeurs désespérés qui disaient qu'il y avait un mètre de déchets plastique sous la mer à Marseille à la suite de la grève des éboueurs et des pluies diluviennes qui ont suivi. Je vous dis pas, les micro particules que les poissons vont avaler et qui finiront partie dans nos estomacs, partie par augmenter le sixième contient au milieu du Pacifique. Honte à nos édiles mais honte aussi à tous les consommateurs de plastique à gogo.
Une ville, c'est comme un organisme vivant, le nôtre par exemple. Il y a donc des réseaux d'approvisionnement qui relient la nature à notre assiette : eau potable, agriculture, industrie agroalimentaires, transports, commerces. Mais l'histoire ne finit pas, là car il y a un reste et ce reste se donne lieu à deux réseaux auxquels nous sommes habitués depuis le XIX° siècle en Occident, le tout-à-l'égout et le service de la voirie. Oui, je sais, les Romains avaient tout ça, mais seulement dans de rares beaux quartiers et, de toutes façons, la consommation était 20 fois moindre et sans matériaux de synthèse. En trois jours, à Marseille, il y avait des montagnes de déchets à chaque coin de rue qui auraient suffi à remplir une benne. Tout ça dans la mer.
En résumé, notre précieux organisme avec ses réseaux de tuyauterie, en particulier celui qui relie la bouche et l'anus, quelques mètres de long maxi, n'est qu'une toute petite séquence, mais elle commande un immense réseau qui fait le tour du monde. Parfaitement ; le tour du monde ! Nos aliments et leurs emballages viennent du bout du monde pour satisfaire nos moindres désirs, comme dit Baudelaire, et ils y retournent par containers entiers qui évacuent nos tonnes de déchets on ne sait où, et par la pollution qui et que.
Bref, la pédagogie pertinente, c’est désormais une pédagogie des circuits longs.
Photo : La mer à Antibes
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