La plus belle femme du monde
Je me pose des questions sur la façon de partager ma peine. J’ai reçu combien de messages affectueux de personnes qui ont connu Michèle, et aussi qui ne l’ont pas connue ! Voilà un résultat, un échange affectif qui nous enrichit tous.
Mais attention, me dis-je, à ne pas lasser et à ne pas être impudique. J’ai perdu la plus belle femme du monde, tout le monde est d’accord là-dessus, et, en plus, qui avait toutes les vertus. Cela provoque un beau mouvement d’empathie et, dans ma peine, j’ai la consolation d’avoir été un privilégié qui n’arrête pas de dire merci à la vie du cadeau qu’elle m’a fait.
Ne risqué-je pourtant pas de m’attirer le mauvais œil ? Que finiront par penser ceux à qui la vie n’a pas offert une belle femme aimable en partage (ou un homme, pas de mauvais procès, les filles !). Et que diront, à la longue tous ceux qui ont eu aussi ou qui ont encore le privilège de partager leur vie avec une femme aimable (oui, ou un homme) ? C’est sûr que Michèle avait su se faire aimer par beaucoup de gens qui rappellent son engagement, son entièreté, son désir de partager le beau à tous les sens de l’adjectif. Je suis le premier à l'avoir éprouvé et à en témoigner. Mais peut-être qu’il y a d’autres femmes de par le monde qui sont pas mal aussi… De toute façon, c’est si subjectif... Pourvu que chacun trouve sa chacune, que demander de mieux ? Il n'y a rien de plus funeste que les concours de beauté. Voyez la guerre de Troie !
De Freud, une seule parole m’a frappé. Il paraît qu’il a dit que le problème de tout artiste est d’arriver, pas son art justement, à intéresser autrui à son cas particulier. C’est ce qu’il faudrait que j'arrive à faire pour que chacun ne se mette pas à penser que ce Bruno devient fatiguant à ne parler que de lui. Et moi ! Et moi ! Quand une œuvre plaît et qu’elle a du succès, c’est que ses lecteurs ou ses spectateurs se reconnaissent dans les émotions de son auteur, et attrapent la perche que leur tend Hugo quand il écrit : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! »
Je n’aime pas trop Éluard parce qu’il a été stalinien mais je suis touché par ce vers qu’Élisabeth me remet en mémoire : « Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues. »
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