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La duchesse, le naufrage du Lusitania et nous


En 1915, le naufrage du Lusitania fit 1200 victimes. La duchesse de Guermantes s’en émut à la lecture du journal, pendant son petit déjeuner. En fait, les croissants qu’elle trempait dans son café au lait lui importaient un million de fois plus. Il faut dire qu’elle avait obtenu, en pleine guerre, une ordonnance du docteur Cottard pour lui faire livrer ses croissants à domicile à cause de ses migraines.

Bien joué Marcel ! Le coup des croissants est excellent et on se régale à fustiger l’égoïsme de cette duchesse alors que l’humanité souffre tellement. Mais je suis désolé, Marcel, il y a un coup de pouce ! Car après tout, cette duchesse de Guermantes ne vous rappelle personne ? Non ? Vous ne voyez pas ? Vraiment pas ?

Alors, je vous aide : de quoi parlaient les infos, ce matin comme chaque matin depuis un mois, pendant que vous et moi, mon lecteur, prenions notre propre café au lait sinon des 3000 réfugiés qui dorment dans la forêt à la frontière de la Biélorussie et de la Russie par - 10 ? Bien sûr, cela nous a dérangés et même fait souffrir pendant au moins une minute. Mais que faire après, sinon reprendre une deuxième tartine ?

C’est un peu comme quand on s’indigne contre le foie gras, les corridas et la chasse en dégustant un poulet rôti ou une entrecôte bien grasse et avant d’aller voir un documentaire sur la vie des animaux dont la condition-même d’existence est de s’entredévorer. En plus, le sort des réfugiés « biélorusses » n’est qu’une goutte d’eau dans la souffrance humaine insupportable. Ils n’en représentent qu’un millionième !

Suis-je entrain de dire que la duchesse fait ce que fait tout le monde ? Oui. Et qu’il n’y a rien à faire ?

Que nous disent les deux piliers de la culture européenne sur la question de l’hospitalité ? Côté christianisme, le pape François n’arrête pas de nous rappeler la parabole du bon Samaritain. Côté Grecs, Péguy parlait toujours du Zeus Xenios, qui donne l’hospitalité à tout le monde et d’Euripide auteur des Suppliantes.

Alors, si la tempête provoquée par la chute de son croissant dans le café au lait de la duchesse n’est certes rien rapportée au naufrage du Lusitania, de même, le drame des "biélorusses" n'est qu'une parcelle minuscule des drames de notre globe terraqué soumis à la mondialisation et aux guerres.

Alors que faire ? Avec l'émigration, il ne s’agit plus de charité individuelle, il s’agit de peuples entiers et même de continents entiers qui demandent la charité. Je ne sais vraiment que dire et j’en suis penaud, sauf qu’il faut commencer par poser le problème à la bonne échelle, ce qui change complètement la donne.


Photo : monument aux héros et victimes de la mer, Palais du Pharo, Marseille, par André Verdilhan, 1923.

 

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