L'écrivain en vacances
Avant, on me voyait toujours avec un livre sous le bras. Un jour, en Égypte, Gusine nous avait invités dans sa maison de campagne au cœur du delta. Je m’étais retiré avec mon bouquin au fond du jardin, au bord d’un canal ombragé par des eucalyptus. Les fallahins ont demandé si j’étais malade ou si j’étais fâché. L’attitude de repli de l’intello à part de la vraie vie leur était inconcevable. Savaient-ils seulement lire ? Je crois que c’est eux qui avaient raison.
Eh bien lundi, je suis allé à l’Apple store des Terrasses du Port faire changer la batterie de l’i-phone de Michèle. Une grosse heure d’attente. Pas de souci : je me suis installé au café à côté, face à la mer, j’ai commandé un café et au lieu de lire, j’ai sorti mon ordi pour écrire. Le roi n’était pas mon cousin. Je me sentais le roi de la montagne, prêt à refaire le monde sur mon clavier. Pourtant, j’ai pensé à une de ses Mythologies où Barthes ironise sur une photo où on voit Gide embarqué sur le fleuve Congo, avec un cahier et un crayon à la main comme si l’essence de l’écrivain était d’écrire en toutes circonstances. À Nice, on a vu une plaque nous affirmant que c’est dans cette maison que Nietzsche avait écrit Par-delà le bien et le mal, ou autre chose.
Du coup, j’ai trouvé mal inspiré ou un peu hypocrite Nicolas Mathieu à qui on demandait s’il se trouvait à sa place dans le monde et qui répondait non en tergiversant au lieu d'avouer que la description à laquelle il se livre, roman après roman, d’un univers social d’une effrayante médiocrité, lui donnait une suave sensation aéronautique, un véritable orgasme ontologique. Je sais bien qu’il est affligeant de décrire un monde affligeant et qu’il faut être solidaire de ceux qui souffrent. Mais il existe une différence de nature entre le monde réel et le monde reconstitué avec des mots, des phrases, de la syntaxe, de la grammaire, etc. L’un a beau imiter l’autre, il y a un gap entre les deux ! En plus, NM a eu le Goncourt, son nom est écrit partout, ses livres sont en pile à l’entrée de toutes les librairies et il a l’honneur de tous les médias. Alors avoue ta jouissance, Nicolas au lieu de faire ton faux modeste !
Je parlais de plaisirs gratuits. En voilà encore un de plaisir gratuit, avec zéro bilan carbone. Mais est-il bon pour la santé ? Ne risque-t-on pas provoquer la jalousie des dieux ?
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