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J'ai inventé la caméra à filmer les rêves !



C’est clair, la photo est un moyen de résister à la mort. Cela a été, a pertinemment remarqué Roland Barthes au sujet de la moindre photo. Et dire qu’il avait passé sa vie à combattre l’illusion référentielle, comme il disait ! Passons… Mais si cela a été, c’est-à-dire n’est plus, la photo, elle, existe encore, avec une précision diabolique, et donne une seconde vie aux choses.

J’ai toujours fait des photos. Les livres, c’est fini. Je prépare une grande bibliothèque dans mon garage où je regrouperai the best of mes bibliothèques éparses. C’est surtout un moyen d’isolation contre le chaud, le froid et le bruit car je sais bien que personne ne les lira jamais plus, tous ces livres, en tout cas pas moi qui n’en ai plus ouvert un depuis deux ans. Je préfère écrire. Aussi n’ai-je aucun droit à critiquer les jeunes qui ont toujours le nez sur leur tablette : je leur donne l’exemple ! Exit Gutemberg.

Me voilà occupé à trier des milliers de photos, tel un orpailleur. J’en balance les ¾. Les autres, je les classe par années, par personnages, par voyages, par musées, par thèmes, etc. Et je fais des albums que j’imprime grâce à flexilivre. Que je vous recommande, en passant. J’aime surtout la pierre et la chair fraîche. La chair fraîche ? Quelle chair fraîche ? Ben, celle de mes enfants et petits-enfants. J’aime beaucoup les petits enfants, Ah, ah ! ah ! Mais pas que. J’ai déjà fait trois albums avec les photos de ma femme, mais vous ne les verrez pas. Sinon, j’achève un album d’une centaine de photos intitulé Matières et ustensiles du Luberon-Sud où je sauve de la disparition définitive de pauvres objets qui rouillent et s’effritent, des pierres travaillées par le temps, ce grand sculpteur, comme dit Victor Hugo, des pans de mur, des cabanons en fin de vie, etc.

Je leur donne une seconde vie, mais je sais très bien que, sans parler des souris et de la moisissure, ces albums n’existeront qu’autant qu’il y aura des mains pour en tourner les pages et des yeux pour les regarder.

Ce que ces albums perpétuent, pour un temps déterminé, ce sont des êtres et des objets, mais c’est aussi le regard inimitable que je porte sur eux. Ils constituent une biographie, une autobiographie intellectuelle, sensuelle et affective autant que factuelle : dis-moi ce que tu photographies / je te dirai qui tu es. On y voit mon monde, mes rêveries, mes fantasmes, mes obsessions, mes névroses, etc., aussi bien que dans les rêves. J’ai toujours pensé à la caméra à filmer les rêves comme à une grande invention de notre siècle. Eh bien, je crois que je l’ai faite, cette invention, c’est la confection d’un album photo, pourvu qu’on y mette un peu de soi.

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