Grandeur et misère de la nation
Je vois trois définitions de la nation.
Premièrement, la Révolution française, imitée dans le monde entier, s’est faite au cri de Vive la nation ! C'est le cri de Valmy. Ça voulait dire que le pouvoir ne venait plus d’en haut, comme avec la noblesse et la monarchie de droit divin, mais d’en bas, de l’immense foule du peuple. Au XIX° siècle, la plupart des pays d’Europe ont voulu faire pareil en se débarrassant des impérialismes austro-hongrois, allemand, russe ou ottoman. Au XX° siècle, ça a été le tour des colonisés. La nation, en 1789, c’était la démocratie et les droits de l’homme sans coloration ethnique. Français ne voulait pas dire français, ça voulait dire universel.
En un second sens, la nation, ce sont nos us et coutumes, notre langue, notre religion, le tissu de notre vie quotidienne, notre art de vivre. Quoi de plus précieux ? Sinon, on serait des numéros, des atomes interchangeables sans réseaux ni filiation, c’est-à-dire sans identité car, on est bien d’accord, les identités se construisent d’abord dans les appartenances. Or, la mondialisation ronge les appartenances et les guerres multiplient les déracinés.
Là où ça se gâte, c’est, troisièmement, quand l’identité nationale se construit non plus pour mais contre les autres, c’est-à-dire qu’elle se met à faire des boucs émissaires. C’est peut-être la chose la plus détestable au monde en concurrence avec l’exploitation de l’homme par l’homme. Les boucs peuvent être à l’intérieur, les juifs, les Turcs, les sorcières, les albinos, les moutons noirs, etc., ou de l’extérieur, souvent les deux à la fois, car des traitres et des espions, en tout cas des minorités ennemies, se mêlent à nous. Malheur à eux ! La décomposition de l’Empire turc a libéré une terrible boîte de Pandore : la guerre inter-ethnique fait des ravages depuis deux siècles dans les Balkans et dans le Moyen-Orient.
Le point à surveiller, c’est le point de basculement entre le 2 et le 3 et qui transforme la meilleure chose du monde en la plus détestable de toutes. Le peuple qui s'était libéré dans mon premièrement s'aliène à nouveau, hurle en meute, courbe la nuque devant le chef et fait de ses partenaires des victimes.
Photo : une borie vendredi sur la route de Bonnieux.
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