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De quelques corniches



Après les rues qui débouchent sur la mer, voici, mon cher lecteur, quelques lignes sur mes corniches préférées, en commençant par le Malecon, celle de la Havane, la plus mélancolique de toutes, orientée au nord (ci-dessus). Elle a perdu sa beauté, si elle en a jamais eu. On est loin en tout cas de l'ambiance de Chico et Rita, cet admirable dessin animé qui ressuscite la Havane d'avant Castro. La nuit, aimantée comme des papillons, la jeunesse frustrée se rassemble le long du garde corps pour rêver à la proche Floride, l'El Dorado haï et détesté tous les jours par la propagande. C'est bien triste.

La corniche de Beyrouth était décevante. Je l'ai fréquentée tous les jours pendant un mois quand fut fondée l'Université Arabe de Beyrouth. Je dis était car on n'ose penser à ce qu'il en reste. Quelles sont vos corniches préférées à vous, mon lecteur ? Moi, c'est pas pour me vanter, mais j'en ai deux, de corniches préférées, celle de Marseille, la plus belle du monde, et celle d'Alexandrie qui fait bondir mon cœur chaque fois que j'y retourne. Le petit peuple égyptien en a entièrement repris possession depuis Nasser. Plus un Européen. Du Quatuor de Durrell, il ne reste que les lourds bâtiments construits par des Italiens au XIX° siècle, qui n'ont pas bougé depuis 70 ans. La couche de poussière s'épaissit d'année en année sur le bord des fenêtres. Les ascenseurs ont cessé de fonctionner depuis longtemps, les poignées de porte sont molles et les robinets gouttent, modèle 1930. C'est le palais de La Belle au bois dormant sur la presqu'île de Pharos. Les enseignes des magasins en français sont demeurées et, à la terrasse des grands cafés, dans ce pays où on sait vieillir, les vieillards en robe sombre continuent à jouer au tric-trac, enturbannés de blanc, en fumant le narguilé. Sur le goudron déformé de la chaussée, faibles signes de vie, on entend résonner le sabot des petits chevaux qui tirent des fiacres noirs comme des mouches et le klaxon des taxis jaunes comme des guêpes. C'est quasi métaphysique. On passe de l'autre côté d'une ligne où le temps s'est figé.

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