Dans la vie, tout est flux

Horripilante émission de Finkielkraut sur la littérature il y a 8 jours. Il avait invité le nouveau pape des études de Lettres à la Sorbonne, Alexandre Gefen, et ils se sont empaillés pendant une heure pour savoir si la littérature était politique ou pas. Mais comme on n’avait pas défini le mot politique pour commencer, ils ne parlaient pas de la même chose. Ça arrive chaque fois qu’on part d’un concept trop large. Beaucoup de fumée, de fureur et de temps perdu.

Finkielkraut défendait l’intime, la nuance, la complexité et Gefen était dans la pensée woke and cancel, dans Me-Too et dans l’antiracisme. On se croirait dans le sommaire de Télérama, lui a lancé Finkielkraut. Gefen a marqué des points quand il a dit que si Victor Hugo s’appelait Victor Hugo, c'était bien parce qu’il avait pris la défense des misérables. Il a dit aussi que Proust n'avait pas parlé du prolétariat. Mais Finkielkraut lui a foutu un gnon quand il a parlé de l’amour-propre des intellectuels et des professeurs qui se croient plus malins que les grands auteurs et qui leur tirent l’oreille comme à des garnements.

Débat manichéen comme si l’intime et le politique avaient vocation de s’exclure. Pas la politique politicienne, bien sûr, mais l'inscription historico-sociale, qu’elle soit manifeste ou pas, on n’y échappe pas ! Si on veut être nuancé, Alain, il faudrait commencer par se pencher sur le continuum qui relie la psychologie et la sociologie et se munir d'un bon curseur comme pour régler la densité d'une photo sur photoshop.

Longtemps, les professeurs ont été marxistes, c’est-à-dire hyper-politisés. Puis ils sont devenus structuralistes avec Roland Barthes dans les années 70 : le monde extérieur n’existait plus et il était interdit de sortir de la tour d’ivoire des textes. Depuis dix ans, la french theory fait ressortir des fragments de réalité des oubliettes sous forme de pensée woke et cancel. Y a pas plus moutonniers que les professeurs de littérature qui retournent leur veste en cadence tous les 30 ans. Le plus fort est qu’ils ne disent pas pourquoi ils changent d’uniforme, ne font aucune autocritique, comme frappés d’amnésie !

Comme on est loin de Bergson ou de la pensée chinoise chère à Béatrice, qui voient que tout est flux. J’ajoute que ces flux sont des écheveaux de fibres qui se tordent et se détordent progressivement. La rage de se placer à l’avant-garde contrevient à l’exigence de progressivité propre à toute pensée soucieuse de la réalité.

Photo : algues d'un canal de L'Isle-sur-la-Sorgue.