Dans ce monde sublunaire

J’ai apprécié la petite biographie que m'a offerte Claude, laissée par mon prof de latin, Paul Veyne. Si je l’avais lue plus tôt, j’aurais aimé aller lui rendre visite à Bédouin près de Vaugines. Las, il est mort il y a un an ! Il a été étudiant au lycée Thiers comme moi, et prof à la fac d’Aix comme moi. La ressemblance s’arrête là puisqu’il est devenu un grand spécialiste de la Rome antique, professeur au Collège de France.
Il était affligé d’un gros boufigue sur la joue gauche qui doit expliquer bien des choses. En particulier sa recherche d’excellence. Il se dit proche des homos dont le vice était encore stigmatisé à l’époque. Lui, il était hétéro et les femmes ne lui ont pas manqué.
D’accord, le sexe, l’argent, le pouvoir…, écrit-il. Moi, ce que trouve trouve intéressant, c’est Moi.
Eh bien ce moi, il l’a découvert et construit en s’enfermant dans le musée de Nîmes pour déchiffrer les stèles latines et dans les bibliothèques tous les textes latins et grecs qui lui sont tombés sous la main jusqu’à en devenir l’un des plus grands spécialistes.
Au lieu de rendre les versions latines nommément, il balançait le paquet sur le bureau en partant et débrouillez-vous. Les cours étaient au 11° étage et, la fois où je me suis trouvé seul avec lui dans l’ascenseur, ce fut long car il n’a pas trouvé un mot. Je ne lui en ai pas voulu car il est le seul prof qui m’ait captivé par son intelligence, son humour et ses anachronismes permanents. C’est comme si…
Il dit Céline illisible et admire de Gaulle. Moi aussi. Il dit que le plaisir d’écrire un livre est dans le plaisir du lecteur comme le plaisir féminin comble l’amant qui caresse un sein. À méditer...
En tant qu’historien, il est complètement sceptique, ce qui m’énerve un peu. Pour lui, tout est hasard et contingence dans notre monde sublunaire, l’expression est d’Aristote, par contraste avec la course des astres qui suit une ligne immuable et nécessaire. Il a dit ça pour embêter les marxistes qui ne parlaient que des lois de l’histoire qu’ils croyaient connaître. Il dit enfin que l’histoire n’est qu’un cimetière de vérité mortes.
S’il n’était pas mort lui-même, j’irai lui dire qu’il exagère un peu.
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