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Comment Praxitèle parle du corps de la femme




Mes amies, Solange, Mireille, Claude, Danièle, Annick surtout, me disent de lire davantage de romans contemporains. Ça tombe mal car j’ai rechuté dans l’Antiquité : après les Romains, voici les Grecs. J’ai relu des notes prises il y a fort longtemps sur L’Art antique d’Élie Faure. Quelle belle figure que cet Élie Faure, protestant, médecin anesthésiste, apparenté à l’anarchiste Élisée Reclus, dreyfusard, et surtout historien de l’art ! Ses cent pages sur l’art grec sont une petite merveille.

Il commence par dire que les Grecs sont une race de marchands, de pillards, de comédiens, de rhéteurs, d’esclaves, de proxénètes, de politiciens. De la guerre de Troie aux conquêtes d’Alexandre, ce ne sont qu’effroyables férocités, volupté du lâche carnage, du viol, de l’éventrement du désarmé, des pirates, une duplicité atroce entre les cités. Les dieux eux-mêmes sont d’authentiques crapules.

Comment une telle perfection artistique a-t-elle pu jaillir d'une telle abjection ? Au terme d’un processus où il dose l’apport ionien et l’apport dorien, qui a vu triompher Apollon sur Dionysos, Élie Faure en arrive à l’insurpassable Phidias auteur des frises du Parthénon.

Que les marbres mutilés soient des lutteurs ou des vierges, l’aisance de la force, et une douceur invincible rayonne d’eux. Quand on sort des effigies meurtrières de l’Assyrie ou des statues silencieuse de l’Égypte, on se sent ramené dans l’univers vivant. Phidias transporte dans le marbre le balancement de la vie.

Le plus beau moment est pourtant celui qui suit, le moment de Praxitèle, quand Athènes commence sa glissade vers la décadence. C’est à cette admirable paragraphe que je voulais en venir : 

Pour la première fois, la statuaire dévoile tout à fait la femme, pour la première fois, il rejette les étoffes. Praxitèle parle du corps de la femme comme on n’en avait jamais parlé, il le dresse et l’adore dans sa rayonnante tiédeur. Ces statues mutilées confèrent à la sensualité de l’homme la noblesse la plus haute. Ces grandes formes sanctifient le paganisme entier comme plus tard une mère penchée sur le cadavre de son fils humanisera le christianisme. Il nous a appris que le corps féminin, par la fragilité du ventre, des flancs, des seins où sommeille notre avenir, résume l’effort humain dans son invincible idéalisme exposé à tant d’orages. Il est impossible voir certaines de ces statues brisées où le torse jeune et les longues cuisses survivent seules sans être déchiré d’une tendresse sainte.

C’était en 1909. Faure retrouve des accents de Michelet. Qui aujourd’hui écrirait ainsi ?


Photo : Aphrodite de Cnide.

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