Cités à la dérive
Après les larmes et un peu d’érotisme, quoi ?
Passant la nuit chez Sabine, j’ai cherché de la lecture dans son placard en cas de réveil intempestif. Je suis d’abord tombé sur Les Falaises de marbre de Ernst Jünger avec son superbe incipit :
Vous connaissez tous cette intraitable mélancolie qui s’empare de nous au souvenir des jours heureux. Ils se sont enfuis sans retour ; quelque chose de plus impitoyable que l’espace nous tient éloignés d’eux. Nous pensons aux images de la vie comme au corps d’un amour défunt qui repose au creux de la tombe. Plus doux encore est le souvenir des années que nous versa le ciel si ce fut une soudaine épouvante qui les termina. Nous comprenons alors quel bonheur c’était déjà pour nous autres les hommes que de vivre au fil des jours en nos petites sociétés, sous un toit paisible parmi les bonnes conversations. La fortune nous ouvrait déjà ses trésors.
Quelle écriture ! Comment passer devant de telles lignes sans les graver dans son esprit ? C’est comme croiser une jeune fille de grande beauté dans l’autobus et piquer du nez dans son smartphone !
Jünger pense au national-socialisme qui va tout ravager comme Stephan Sweig pleurait la Vienne d’avant 14 dans son Monde d’hier.
Puis, j’ai ouvert Le Naufrage des civilisations d’Amin Maalouf que j’avais dédaigné jusque-là. Les premières pages m’ont ébloui. Lui c’est la disparition de l’univers levantin qu’il pleure : Alexandrie, Beyrouth, Tripoli, Alep, Smyrne, Constantinople, Odessa… Quels noms magnifiques ! Il se compare au survivant indemne d’une cité entièrement écroulée, qui secoue la poussière de ses habits.
Le Levant est un vocable suranné, à l’histoire imprécise et à la géographie mouvante où les vieilles cultures de l’Orient méditerranéen ont fréquenté, celles, plus jeunes de l’Occident. Ça aurait pu être un modèle de prospérité et de coexistence harmonieuse. C’est l’inverse qui s’est produit et la détestation. Cela me frappe pour avoir vécu deux années à Alexandrie et touché du doigt les ruines de cet univers. J’aurai à en reparler.
Photo : la maison de Constantin Cavafy à Alexandrie, 21 mars 2009.
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