Ce monde moderne de malheur (comme dit Péguy)
Bernanos ne cesse de fulminer contre le monde moderne dont nous sommes si fiers, pensé par Rabelais et Luther, puis par Rousseau, Voltaire et mai 68 pour aboutir à la société de rivalité, d’argent et de machines que nous adorons. Lui, c’est carrément la chrétienté du Moyen âge qu’il adore, surtout en la personne de Saint Louis et de Jeanne d’Arc, dont de Gaulle, Jean Moulin et Pierre Brossolette seraient les seuls survivants au XX° siècle.
La question que je me pose, c’est si ce monde moderne de malheur est une anomalie funeste, une sortie de route accidentelle qui n’aurait pas dû advenir mais qui est advenue à la suite de quelque coup fourré alors que toutes les civilisations connues depuis le néolithique étaient des sociétés religieuses tenues par la croyance en d’innombrables règles, tabous, limites, de nature familiale et religieuse en particulier. Ce monde moderne de malheur est-il une excroissance monstrueuse dont il faut s’indigner chaque matin au réveil, ou ne serait-il pas plutôt un retour à la nature humaine décapée à l’os de toutes les bandelettes, gangues et camisoles dont l’histoire l’avait revêtue. Je penche pour cette deuxième hypothèse.
L’essence du monde moderne, c’est le libéralisme dans tous les domaines : économique, religieux, sexuel. Je fais comme il me plaît et il ne manquerait plus qu’on me fasse des remarques ! Chacun va à la messe, à la mosquée, à la synagogue ou plutôt au centre commercial comme ça lui chante : la religion est devenue une affaire privée. Chacun fait l’amour quand il veut, avec qui il veut (sauf avec les enfants !) et dans la position qu’il veut, sans autre forme de cérémonie comme les animaux de la forêt. Ça ne regarde que moi. Sur la plage et sur les lieux touristiques on se balade dans le plus simple appareil, ou presque, comme les sauvages d’Amazonie qui se baladent tout nus avec une ficelle autour des reins.
Le malheur c’est que ces individus soit disant autonomes rivalisent les uns avec les autres et ces rivalités attisées par la pub et les réseaux sociaux renvoient aux fondamentaux de notre nature, l’amour-propre qui pousse chacun à entrer en concurrence avec ses frères. Rousseau justement avait fait des rivalités d’amour-propre l’origine de tous les malheurs des hommes comme l’inégalité et la guerre.
En ce sens, loin d’être un pas en avant, malgré internet, le chocolat et la bombe atomique, la modernité, est un important rendez-vous de l’humanité avec elle-même, un miroir géant, une sorte de remise du compteur à zéro. La modernité a détruit pierre à pierre l'édifice que l’homo sapiens avait mis cent mille ans à construite. C’est vrai que c’était un peu vieillot, comme dit Antonia quand on lui propose un film de plus de dix ans. Alors maintenant, on fait quoi ?
Photo : Leni Riefenstahl ches les Noubas
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