Bernanos et l’esprit d’enfance

Hier, on a fait une conférence zoom avec mes amis d’Old’up sur Bernanos (si ça vous intéresse, on parlera de mai 68 en octobre…) Bernanos monarchiste, Bernanos catho, Bernanos antisémite, Bernanos passé de Maurras à Péguy, à de Gaulle et à la Résistance. Tout cela est passionnant, mais appartient surtout à l’histoire.
Le coup de poing à l’estomac vient plutôt de ce que Bernanos appelle l’esprit d’enfance. Dans une petite étude en date de 1926 consacrée à Saint Dominique, Bernanos gratifie les grands saints de cet esprit d’enfance et joue les enfants contre les vieux. La vie des grands saints, suggère-t-il, est faite de liberté, de spontanéité, de fraîcheur comme une source, d’ingénuité. C’est une floraison dans un monde esclave de ses morts. Le plus bel exemple est Jeanne d’Arc. Bernanos qualifie de merveille le procès d’une enfant condamnée par des gens d’Église. Quelle leçon ! Jeanne refusa de reconnaître que ses voix étaient fausses, pas venues de Dieu, et la hiérarchie sclérosée la condamna au bûcher…
Je crois que Bernanos a raison et Rousseau aussi. La psychologie de l’enfant, c’est aussi simple que de la pâte à modeler. Ce n’est pas vrai qu’un nouveau-né est un pervers polymorphe prêt à mordre le sein de sa nourrice. Il deviendra juste ce que vous en ferez, c’est pas plus compliqué que ça. Donnez-lui, il vous rendra. Privez-le, il se convulsera. De lui-même, il n’est qu’élan et appétit. C’est un petit sauvage qui ignore l’amour-propre, le ressentiment, le mépris, la vanité et qui les apprendra à proportion de ce que le monde adulte les lui enseignera.
Après, Bernanos dit que la vie des saints est à l’image de l’élan qui les anime alors qu’on sait très bien que les génies peuvent avoir un caractère et une vie détestables. C’est le paradoxe de Bergotte chez Proust, écrivain sublime, mais homme ordinaire en proie à la médisance et à l’arrivisme. D’ailleurs, les grands saints n’ont rien écrit du tout : voyez Bouddha et Socrate, voyez Jésus et Jeanne d’Arc. Mais leur exemple a diffusé sous des formes poétiques anonymes, sans droits d’auteur…
Les romans de Bernanos se passent dans un confessionnal entre un prêtre (qui est loin d’être tout blanc) et sa pénitente, dont le cœur est noué d’affreuses haines. C’est un corps à corps avec le diable. Dans Sous le soleil de Satan, le prêtre échoue à sauver Mouchette mais dans le Journal d’un curé de campagne, il réussit à sauver in extremis l’âme de Chantal aussi pourrissante qu’une eau stagnante. Elle aura connu la veille de sa mort l’expérience de l’air pur qui gonfle les poumons comme un voilier…
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