Au bord de l'étang de Thau
B : Trop bien ce week-end à Sète ! Cette ville a vraiment un esprit spécial, je veux dire des coquillages et des canaux. Daniel a dit que c’est à cause du Canal du midi qu'ils se sont enrichis.
M : Il reste quelques belles façades !
B : Ouais, à condition de pas se casser la figure dans l’escalier à force de les regarder.
M : En plus, c'est vivant, avec des cafés et des boutiques branchées.
B : Il faudra le dire à Sabine quand ils voudront se faire une sortie en amoureux. On lui recommandera le Grand hôtel et comme restau, le Pasta Politi. Difficile de trouver mieux.
M : C'est un peu long, ce tour de l’étang de Thau. Va pas si vite… Mon pied me fait mal. À quoi tu penses ?
B : Ben, finalement, je me demande si l’axe vertical est si important que ça dans la vie ?
M : Quel axe vertical ?
B : Les femmes sont terribles ! Je parle de l'axe qui relie les gens à leurs ancêtres, ou à un Dieu transcendant si on veut faire un bond métaphysique. Je me demande si j’ai raison de répéter : pas de fraternité sans paternité.
M : Et maternité !
B : Oui, oui… Mais l’important c’est de savoir si on a vraiment besoin d’une culture commune, de partager un patrimoine.
M : On a besoin de modèles ! C’est le rôle de la culture, de la littérature. Tous les grands auteurs avaient un message moral à transmettre.
B : C’est ce que j’ai toujours dit, mais il faut reconnaître que la littérature fait pâle figure à côté des religions. La littérature, c’est juste des mots, tandis que les religions, c’est autre chose, des rites, des émotions partagées, ces chants, des envoûtements. La littérature, c’est que d'la religion sécularisée.
M : Quand même, le chant XXIV de l’Iliade, c’est un bel exemple de fraternisation entre les ennemis les plus implacables.
B- Peut-être, mais est-ce que ça a rendu quiconque meilleur ? Aristote disait que le théâtre purge les passions, mais les Athéniens qui assistaient chaque année aux pièces d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide ont fait boire la cigüe à Socrate. L’exemple de la guerre de Troie ne leur a servi à rien. Ils se sont battus comme des chiens dans la guerre du Péloponnèse. Thucydide après Homère ! C’est comme les Allemands si pétris de culture, et puis, après…
M : Je ne dis pas que ça suffit, mais l’éducation aide à partager des valeurs. Sinon, on redevient des barbares.
B : Peut-être... J’avoue que l’histoire de la Femme adultère ou celle du Bon Samaritain donnent de beaux exemples. Mais c’est pas un peu fou de vouloir obliger tous les jeunes à étudier des textes de plus de 2000 ans sous peine de barbarie ? Ce qui compte, c’est pas ce qu’on sait, c’est ce qu’on éprouve dans sa poitrine. Un match de foot entre profs et élèves, ou un dîner entre voisins en font peut-être plus que des années d’études. Ou si on prévoit des espaces pour les vieux dans les cités, ils seront moins aigris.
M : C’est pas ce que dit Marcel Mauss ?
B : Marcel Mauss ? Si, justement ! Ça apporte de l’eau à mon moulin. Finalement, les dons et les contre-dons, c’est une fraternité sans paternité. Si je me trouve face à une femme dans l’ascenseur, j’ai trois solutions. Au pire, je la viole…
M : Arrête !
B : Deuxième solution, je regarde la pointe de mes souliers.
M : C’est déjà mieux. Mais tu peux aussi trouver quelque chose à dire qui n’engage à rien.
B : Exactement, c'est ce que la vie m’a appris d’elle-même. Avant, j’étais terrorisé par ce genre de situation, mais, tu as vu, dans l'ascenseur du Grand hôtel, j’ai commenté la voix enregistrée qui nous informait : « Troisième étââge » en disant : « Quelle mégère ! Elle pourrait prendre un ton plus aimable, franchement ! » Ça a amusé notre co-passagère qui se souviendra de nous… Pas besoin d’avoir les mêmes ancêtres ni d'avoir étudié dans les livres pour se faire des amis…
Photo : au bord de l'étang de Thau.
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