Annie Ernaux entre Sartre et Camus
Écouté ce matin l’excellente émission d’Alain Finkielkraut sur Annie Ernaux (c’était il y a 15 jours). Entente avec ses deux invités pour saluer les livres d’AE mais pour dire qu’elle est bornée en politique. Annie Ernaux a rempli un devoir de piété envers son père et sa mère qu’elle appelle « sa race ». Elle n’est pas la première à le faire. Je pense immédiatement à Giono, à Camus, à Péguy. Jean le bleu de Giono est en dehors des radars de l’intelligentsia mais je m’étonne qu’AF n’ai pas songé à évoquer Camus et Péguy, orphelins de père, hommes du peuple fidèles à leurs racines, qui n'ont cessé de dire leur gratitude envers les femmes qui les ont élevés, leurs mère et grand-mère. Bravo, AE de vous inscrire dans une si belle filiation.
Le côté Sartre est beaucoup moins satisfaisant. AE se réclame de Jean-Paul et de Simone et s’enferme dans la même radicalité bornée (dixit P. Assouline). La destruction des tours jumelles est saluée par elle comme un exploit merveilleux. Elle se dit inconditionnelle de Saint-Just, l’Ange de la Terreur au fanatisme démesuré. Elle milite sans nuance pour le voile islamique, cet instrument d’émancipation. Bref, elle est à fond pour les dominés, de sexe, de race et de classe, sans inquiétude sur les moyens à utiliser et sans soupçon de la complexité des choses humaines. AF avait beau jeu de rappeler que la littérature, c’est l’art de la nuance et du dialogisme. Heureusement, l’écrivaine écrit ses livres au singulier sans généraliser autant qu’elle le fait devant un micro et dans la presse.
Ce qui m’a le plus intéressé dans tout ça, c’est le rapport paradoxal d’AE avec la littérature. D’un côté, elle a lu, fait lire et écrit, comme étudiante, comme prof et comme auteur, mais, d’un autre côté, si j’ai bien compris, elle a honte et dédaigne les grands auteurs car la littérature, c’est un truc de salon et de classe dominante. D’où son écriture blanche, comme Camus soit dit en passant, mais on est loin de la pensée de midi. Là, je suis choqué ! C’est vrai qu’il y a une guerre des styles entre les pédants et les écrivains que j’ai cités, auquel, j’ajouterai, sans réfléchir, les noms d’Homère, de Montaigne ou de Chamoiseau. Or, les grands auteurs ne sont ni les doctes ni les snobs mais ceux qui ont mis tout leur cœur à parler la langue de tout le monde et qui poussent quand même le bouchon un peu plus loin qu'au Café du commerce. Combien de fois j’ai donné à mes étudiants à réfléchir à la démarche descendante chez Montaigne ! Non, pour AE, la culture, c’est bourgeois et lire Proust, c’est trahir sa classe. Alors, si c’est comme ça, c’est pas la peine, y a plus qu’à aller se coucher…
Photo : J'ai voulu mettre ne belle couverture de Jean le bleu en illustration, mais voici tout ce que m'a proposé google. Fanny, peut-être...
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