A far away country of which we know little
Je me suis décidé, après avoir entendu Finkielkraut samedi dernier parler de Milan Kundera, à ouvrir l’un de ses textes qui s’appelle Le Rideau. Kundera rappelle le mot de Chamberlain après les accords de Munich en 1938 où la Tchécoslovaquie venait d’être sacrifiée à l’ogre nazi : « Un pays lointain dont nous savons peu, a far away country of which we now little. » Et Kundera de dire la misère des petits pays : non seulement ils sont faibles donc menacés, mais en plus, ils sont ignorés. Kundera se plaint que, de 1948 à 1990, son pays ait été colonisé par les Russes, peuple slave et orthodoxe, alors que son histoire le rattache à l’Occident, par le gothique, la Renaissance, la Réforme et la Contre-Réforme. Or les Européens de l’Ouest eux-mêmes, se plaint Kundera, s’imaginent que la Tchécoslovaquie est un pays slave. Comment exister dans ces conditions ?
Ce qui est vrai de la Tchécoslovaquie est vrai aussi de l’Ukraine mais d’une autre façon : l’Ukraine est un pays slave et de religion orthodoxe, mais situé dans une zone frontière entre les pays latins et la Russie et possédant à ce titre une double identité. Tout le monde parle aujourd’hui de l’Ukraine, mais quelle injustice ! Avouons que jusqu’à il y a 3 semaines, l’Ukraine, ce pays plus grand que la France et dont les médias nous font connaître chaque soir des habitants parlant français sans accent était a far away country of which we know little…
C’est peut-être le destin des grands pays d’ignorer les petits. La France a des frontières photogéniques à la différence de certains qui ont l’allure d’une patate en suspension on ne sait où. J’ai enseigné la littérature française tout ma vie en toute ignorance de la littérature d’Europe centrale. Il est vrai que la littérature française s’étend régulièrement sur 5 siècles qu’on descend comme le grand escalier de Versailles… ou d’Odessa, et que sa portée est universelle non seulement à cause des droits de l’homme, mais parce qu’elle est moins ethnique que tout autre. Le classicisme s’intéresse à l’homme abstrait. Quant au romantisme, français, il est si peu national qu’on s’étonne qu’au chapitre 2 de Sylvie, Gérard de Nerval puisse écrire que « des jeunes filles dansaient en rond sur la pelouse en chantant de vieux airs transmis par leurs mères, et d'un français si naturellement pur, que l'on se sentait bien exister dans ce vieux pays du Valois, où, pendant plus de mille ans, a battu le cœur de la France. » Si le romantisme allemand fut, avant et après la défaite de la Prusse à Iéna, mobilisation autour des traditions, le romantisme français fut plutôt démobilisation, recherche individuelle d’une planche de salut du côté du rêve et de l’idéal. Le classicisme français et le romantisme allemand restent des choses à peu près sans équivalent dans l’autre pays.
Est-ce une raison pour ignorer une moitié de l’Europe ? Mea culpa.
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