Le romantisme, cette scrofule de l'esprit
C'est le révolutionnaire anarchiste russe Alexandre Herzen, ami de Dostoïevski, qui écrivait cela en 1846 : le romantisme est une scrofule de l'esprit. Il pensait, bien sûr, aux poètes français, genre Lamartine. Scrofule est un mot bien expressif, aussi démodé qu'écrouelles, qui veut dire infection de la peau ou des muqueuses, ou inflammation des ganglions.
Le romantisme a beau être démodé, il a encore la faveur de bien des jeunes filles, mais pas que. Par exemple vous, mon lecteur, sans réfléchir, vous diriez que vous êtes romantique ? Pour un Chinois, la France, c'est romantique, repas aux chandelles en robe longue sur la terrasse du château ou au bord du lac. Et clair de lune.
Pour ma part, j'ai souvent écrit que le romantisme, c'est une critique exaltée du monde moderne. Chateaubriand a lancé le romantisme, cette tristesse d'une classe à qui l'histoire avait donné tort, l'aristocratie, mais c'est quand la bourgeoisie est arrivée au pouvoir en 1830 que le romantisme se mit à battre son plein. Les Chinois qui viennent se marier dans un château "romantique" oublient que l'amour romantique est toujours adultère et qu'il finit toujours très mal.
Bien sûr, que le monde moderne est critiquable au plus haut point avec son individualisme et son aplatissement de toute chose au profit du seul profit, mais il y a quelque chose qui ne va pas dans le romantisme et Herzen l'a bien senti. Ce quelque chose, c'est que la résistance à l'individualisme bourgeois est menée sur le mode d'un super-individualisme. Prenez Lamartine et son Isolement qui eut un succès monstre à l'époque. Ah, là, là, que je suis malheureux ! Mon seul amour est mort ! Emportez-moi, orageux aquilon, comme la feuille morte, dans un autre monde, loin de la boue d'ici bas, un monde de pureté, seul digne de mon cœur endolori !
Peu importe que le romantique s'exalte dans un amour fou, dans une croyance religieuse nébuleuse, sur une barricade désespérée, ou dans le culte de l'art : il manifeste toujours un immense orgueil associé à un désir secret d'être admiré, même quand il feint de se retirer du monde. Absence de solidarité avec les autres êtres qui souffrent autant et sûrement plus que lui. La souffrance est donnée en spectacle avec complaisance.
Le romantisme a donc deux adversaires : le monde bourgeois, ça, tout le monde le sait, la solidarité humaine, c'est moins visible. L'époque romantique est pourtant celle où le combat pour la République avec sa devise de fraternité fait rage et où sont jetées en 1848 les bases de la Sécurité Sociale et de la législation du travail. Mais les romantiques ne sont occupés que de leur nombril... Péguy disait même le romantisme bourgeois.