Les citrons étaient restés trop longtemps au frigo

Ça fait deux mois qu'il fallait que j'appelle SFR parce que, depuis qu'ils ont changé la box, la télé ne marche plus ! L'autre jour, je me suis décidé et je les ai eus du premier coup. La fille a commencé à me réciter son petit catéchisme d'une voix pâteuse et par me poser 36 questions sur mon identité, mon adresse, mon téléphone. Bon prince, j'ai tout déballé. Ensuite, elle m'a demandé d'éteindre la box et de sortir la carte magnétique, de la nettoyer et de la remettre, dans le bon sens, si possible. J'ai obéi sans discuter et j'ai rallumé mais il a fallu attendre plusieurs minutes pour que la télé se réveille. Le silence est devenu lourd, trop gênant. Alors, pour meubler, je lui ai demandé si elle m'appelait de quelque part dans le monde ?
- Certes, m'a-t-elle répondu. - Mais c'est grand le monde. Il y a beaucoup d'endroits.
- Je suis au Sénégal, a-t-elle répondu en riant.
- Ça alors, j'ai justement une copine sénégalaise ! (ça, c'était pas très malin)
- Eh bien, comme ça, vous en aurez deux !
- Mais, sans indiscrétion, vous êtes blonde ou brune ?
- (toujours riant) Plutôt brune.
- Vous ne seriez pas black par hasard ?
- Comment vous l'avez deviné ?
À ce moment, la télé s'est allumée, j'ai chaleureusement remerciée ma nouvelle amie non sans avoir promis d'aller la voir à mon prochain passage à Dakar.
C'est comme les réunions de département à la fac. Je remercie le ciel chaque matin d'en être désormais dispensé car je n'aurais pas risqué d'y commettre la moindre familiarité. C'est un peu toujours les mêmes qui parlent et les autres serrent les fesses de peur de dire une connerie. Surtout moi parce que j'y comprends rien, à toutes ces questions technologiques. Tout le monde est en concurrence avec tout le monde, que ce soit pour les promotions, pour la distribution des cours ou d'autres avantages. Et par dessus tout pour l'image, le symbolique, comme on dit ! Beaucoup de glace donc et de faïence entre des collègues si chers et si cordiaux à en croire les formules rituelles affichées au début et la fin des mails de service.
Illusion de croire vivre parmi ses semblables, comme on dit, alors qu'on vit parmi des fantômes, fantôme soi-même. Quand il n'y a pas de communication, chacun taille un costume aux autres, trop grand ou trop petit, trop râpé, trop chic ou trop chiqué, rarement de bon goût et bien ajusté. Évidemment, l'autre perçoit votre réserve, votre froideur, si ce n'est votre mépris, et ça ne fait que renforcer ses propres réticences, donc votre méfiance. Ça fait comme si on mettait face à face deux miroirs déformants, concaves ou convexes. Bonjour les fantômes !
Deux amour-propres s'entre-piquent alors qu'il aurait suffi de commencer par un sourire, une parole d'accueil, un mot d'humour pour que la bienveillance prenne le pas sur la gêne et l'angoisse...