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Le temps des cerises

Vous vous souvenez du temps de votre jeunesse, mon lecteur un peu rassis, et de vos premières amours ? Vous vous souvenez aussi que, quand venait la période des examens universitaires, une boule dans la poitrine accompagnait la venue des beaux jours ? Les filles révélaient leurs belles épaules, les plages étaient ouvertes mais le temps était au confinement. Le printemps est un peu moqueur.

Aujourd'hui, nous vivons des moments étranges. Le printemps est plus beau que jamais, la nature explose, les roses embaument, mais le méchant Covid gâche un peu la fête ; le monde nous inquiète.


Les Russes n'ont jamais su s'y prendre en matière de révolution que ce soit en janvier 1905 ou en octobre 1917. En France, le temps des révolutions, c'est le temps des cerises, comme si l'arrivée des beaux jours devait toujours avoir un arrière-goût tragique, cerises d'amour tombant sous la feuille en gouttes de sang...

C'est le 17 juin 1789 que les États Généraux se proclamèrent Assemblée nationale. En 1830, les Trois Glorieuses étaient un peu en retard sur la saison, puisque c'est sous la Colonne de Juillet qu'on a placé le tombeau des 300 victimes de ces journées d'euphorie collective. Mais les insurgés du 5 juin 1832 étaient au rendez-vous de juin sur les barricades du cloître Saint-Merry immortalisées par Hugo dans Les Misérables. Souvenons-nous aussi des terribles barricades de juin 1848 férocement réprimés par le général Cavaignac. Paris vit couler le sang d'au moins 5000 ouvriers. Ce n'était rien encore, hélas, auprès des 30 000 victimes de la Semaine sanglante, épilogue de la Commune, en mai 1871, dont Mai 68 ne fut que la parodie : 30 000 morts !

Marius venait tuer un chagrin d'amour sur la barricade et la pauvre Éponine eut la main transpercée par une balle. Jean-Baptiste Clément pensait aussi à un chagrin d'amour quand il écrivit Le Temps des cerises en 1866 mais ce qui était métaphore devint réalité en mai 71. Ses paroles s'ajustèrent exactement avec l'ambiance dramatique de la "semaine sanglante". Les cerises étaient devenues des gouttes de sang. Les belles étaient devenues des balles, un peu comme chez Rimbaud. Mais nous aimerons toujours Le temps des Cerises :



Quand nous en serons au temps des cerises Et gai rossignol et merle moqueur Seront tous en fête Les belles auront la folie en tête Et les amoureux du soleil au cœur Quand nous chanterons le temps des cerises Sifflera bien mieux le merle moqueur

Mais il est bien court le temps des cerises Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant Des pendants d'oreilles Cerises d'amour aux robes pareilles Tombant sous la feuille en gouttes de sang Mais il est bien court le temps des cerises Pendants de corail qu'on cueille en rêvant

Quand vous en serez au temps des cerises Si vous avez peur des chagrins d'amour Évitez les belles Moi qui ne crains pas les peines cruelles Je ne vivrai pas sans souffrir un jour

Quand vous en serez au temps des cerises Vous aurez aussi des chagrins d'amour

J'aimerai toujours le temps des cerises C'est de ce temps-là que je garde au cœur Une plaie ouverte Et Dame Fortune, en m'étant offerte Ne saura jamais calmer ma douleur J'aimerai toujours le temps des cerises Et le souvenir que je garde au cœur.




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