top of page

De Vaugines à Craiova


Tout le monde peut lire ce billet, mais il s'adresse en fait à mes amis de Roumanie.

Chers étudiants de Craiova,

à votre intention et sur la demande de Madame Catalina devenue une amie depuis que j’ai dirigé sa thèse de littérature française à l'Université d'Aix-en-Provence en compagnie de notre chère Lelia Trocan, j’ai écrit cette page qui vous décrira le village provençal où j'aime à séjourner, et son évolution.


Il n’y a pas que les femmes qui inspirent des passions amoureuses. Celle que je vais vous raconter a commencé dans mon enfance pour un village du sud Luberon, l’un des derniers plissements alpins avant de descendre vers Aix, Marseille et la brillante Méditerranée. Quand je dis un village, il s’agit en réalité de plusieurs villages au pied de la montagne, avec leur géologie propre, leur végétation, oliviers, cyprès, pins, chênes verts, leur agriculture, vignes, blé, melon, asperges, leurs herbes aromatiques, leur lumière éblouissante quand souffle le mistral. Une harmonie entre une nature et un mode de vie ancestral à dominante agricole et artisanale.

Ce mode de vie, je ne l’ai pas connu, mais juste deviné. Je ne suis pas né dans ce pays mais, surtout, il était en voie d’extinction dans les années 1960 quand ma famille a acheté une ancienne maison de vigneron, après la guerre, donc, au début des 30 Glorieuses, à un moment où l’exode rural avait vidé ces villages de la moitié de leur population. Il restait quelques vrais paysans mais beaucoup de fermes étaient à l’abandon, parfois de très beaux bâtiments dont les volets battaient au vent, dont le toit était crevé et le potager envahi par les ronces. Nous allions à bicyclette, avec des copains, visiter ces vénérables ruines, y faire des jeux et des poursuites. Il y avait encore à cette époque des bassins d’irrigation où nous plongions avec délice, alimentés par des sources et des « mines » souterraines descendant de la montagne. J’y ai formé mon goût pour la nature méditerranéenne, la vie rurale et ses travaux. Je sais comment ces maisons sont construites, avec quelles pierres, quel sable, quelle chaux, quel bois, quelle terre cuite et je m’en suis souvenu dans les rénovations de ma propre maison. J’ai appris à manier le plâtre et la truelle et à monter des murs de pierre sèche. Ma femme n’est pas jalouse de tant de caresses dispensées à des pierres et à des arbres ni des infidélités que je lui fais avec mon tracteur pour entretenir nos oliviers car elle est encore plus folle que moi de maisons et de jardins. Si vous venez chez nous, ceci est une invitation, vous pourrez chercher, vous ne trouverez pas un objet en plastique, matériau si polluant et si criard dans ses coloris. Que des matières et des teintes naturelles.

La petite agriculture de subsistance a aujourd’hui disparu, mais les paysages sont restés superbes grâce à la culture de la vigne, du blé, de l’olivier, du cerisier. Les anciennes fermes sont devenues des résidences secondaires et le tourisme prospère. Le Luberon est devenu célèbre dans le monde grâce à des magazines comme Côté Sud. Le vendredi matin, on entend parler toutes les langues d’Europe sur le marché de Lourmarin, village que Camus a rendu fameux. Même l’hiver, il y a assez de monde pour faire vivre l’école, le bistrot et l’épicerie du village car bien des citadins ont préféré vivre à la campagne. Rien à voir, bien sûr avec le cours traditionnel de la vie rurale, ses usages, ses fêtes, ses croyances, ses récoltes. Les agriculteurs ne se reconnaissent plus à leur vêtement, à leur démarche, à leur langage ; ils utilisent internet mieux que moi.

Les ruelles des villages sont devenues difficiles à habiter. Les escaliers sont raides, les pièces étroites, froides et peu éclairée. Faites avec des produits industriels, les constructions modernes à la périphérie des villages ne sont plus extraites de la géologie du pays. Le ciment a remplacé la pierre. La chimie, la poutre d’acier, le verre, les matériaux de synthèse ont modifié l’aspect et la proportion même des bâtiments devenus identiques à ceux de n’importe quelle région. Un sévère plan d’occupation des sols a cependant limité les zones constructibles, si bien que les paysages agricoles sont restés intacts, un privilège que nous envient tant de régions défigurées par le commerce et la publicité. Le Luberon a plutôt bien réussi le choc de la modernisation et du tourisme. Et si vous trouvez, chers étudiants, que mon point de vue est un peu passéiste et bien réactionnaire, je vous ferai observer qu’en ces temps de crise écologique et sanitaire, c’est au contraire la préservation des écosystèmes et la vie frugale au plus près de la nature qui sont la condition de l’avenir, je suis sûr que vous serez d’accord. Alors, vous venez quand ?

D'ici là, joyeuses Päques à tous !


bottom of page