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La loi de la jungle


Qui a raison de Hobbes et de Rousseau, voilà une question agaçante que vous vous posez chaque matin en vous regardant dans la glace, n'est-ce pas, mon cher lecteur : suis-je beau ou pas beau ? Suis-je un être égoïste et cruel qui prend des mines mielleuses pour mieux tromper son prochain ou un brave homme qui se laisse entraîner à quelques mauvais sentiments quand les autres sont trop injustes envers lui ?

"L'homme est un civet pour l'homme", écrit Hobbes dans son traité De cive. (1) En d'autres termes, est-ce que tout commence par la violence et les lois viennent après mettre un peu d'ordre et permettre la coexistence entre les hommes, ou est-ce qu'au contraire, l'homme serait naturellement bon et débonnaire et ne deviendrait méchant et agressif que quand il est lui-même attaqué ? C'est aussi agaçant que la question de la poule et de l'œuf.

Je crois que j'ai trouvé la solution ! C'était pendant une promenade au Mont Senis, une des rares forêts primaires préservées dans notre région. On peine à se frayer un chemin parmi les argeras et les pins abattus par la grande tempête de décembre 1999. Les seuls signes de vie sont des entrées de terriers (lapins ou renards ?), un poste à feu écroulé, quelques tibias échappés d'une tombe mérovingienne, une carcasse de sanglier.

Il suffit de commencer par le commencement pour dénouer la question. Tout commence quand le mâle humain protège et nourrit sa femelle alourdie qui met un enfant au monde et l'allaite. Les géniteurs offrent gratuitement à leur progéniture la vie, le sein et les soins nécessaires à sa survie. Voilà mon Euréka ! Voilà la réalité biologique la plus universelle et la plus incontestable sans laquelle nous ne serions pas là à disserter sur Hobbes et Rousseau, sur Mauss et Girard, et tous les autres. Plus tard, l'enfant devenu robuste veillera sur les vieux parents et leur rendra les derniers soins. Tout commence donc par la paternité et la maternité, lesquelles, entre parenthèses, fondent la fraternité. La voilà, la loi de la jungle !

Ce sont donc Rousseau et Mauss qui ont raison de dire qu'au début, il y a un don et un contre-don. La violence, que Hobbes et Girard décrivent si bien, vient après. Je sais très bien que les frères et les sœurs peuvent rivaliser et que les familles peuvent rivaliser entre elles, mais rien n'adviendrait sans le fait premier de la transmission de la vie et des soins, qui est un lien pacifique.

Cela est si vrai que toutes les sociétés n'ont eu de cesse d'élargir la chaleur du triangle formé par les géniteurs et sa progéniture en s'organisant en clans et tribus et en cimentant le tout par le culte des ancêtres ou de quelques divinités.

(1) J'ai pensé, mon lecteur, que cette traduction un peu libre trouvée dans une copie d'élève pourrait vous divertir.

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