Journal de confinement
Réfugié à la campagne avec un léger baluchon, j'apprends à faire avec. Mon gant de maçon a un gros trou à l'index gauche. Je me suis même blessé avec un tournevis. Eh bien, je lui ai fait une petite poupée avec du chatterton et c'est reparti pour un an. Mes chaussures de travail sont trouées aussi et mon pull-over a des fils qui pendent aux deux manches. Et après ? Ça vous dérange ? La pauvre Sabine qui s'est chargée des commissions a fait provision de gratounettes pour la vaisselle comme si on ne pouvait pas utiliser ces objets à obsolescence programmée jusqu'à ce qu'ils partent en lambeaux. Je les ai confisquées ! Une morale pour demain.
Mais le plus que j'ai fait, le voici. Comme Michèle m'avait commandé la construction d'une banquette d'extérieur pour contempler le Luberon quand il ressemble à la danse de Matisse, d'aucuns disent à un troupeau d'éléphants bleus, et que je n'avais plus de matériaux, je suis allé roder dans une vieille bergerie de ma connaissance où j'ai trouvé tout ce qu'il me fallait : plusieurs agglos, briques et carreaux de siporex écornés, de vieux fonds de sacs au cul pétrifié, chaux, ciment artificiel, tradifarge, enduit de façade couleur crevette. J'ai aussi fait le plein de sable de Vaugines, le meilleur du Vaucluse, abandonné dans un endroit que je ne vous dirai pas. Le tout bien concassé et bien mélangé fera assurément un excellent mortier.
Maintenant, je dirai en écho à un personnage de Sergio Leone : Il y a deux sortes de gens, ceux qui ont la chance d'être confinés au milieu de plusieurs hectares à entretenir et ceux qui sont enfermés dans quelques m2. J'ai beaucoup de pensées pour ceux-là. Pour les prisonniers aussi qui sont confinés toute la vie, pour ma vieille tante à qui il faut que je téléphone mais pour qui rien n'a changé.
Dans la nature, il y a de gros travaux comme la maçonnerie ou la taille des oliviers, mais en ville, on peut ratisser systématiquement son appartement, désherber sa bibliothèque, sa messagerie et ses albums photos, élaguer ses penderies, placards et tiroirs de tout le bois mort qui les encombre. Cette mue à laquelle invite d'ailleurs le printemps permet de méditer sur le Temps, sur les parties de nous-mêmes qui sont caduques, sur celles qui nous ont fait ce que nous sommes pour le meilleur et pour le pire, bilan indispensable pour préparer le jour d'après.
Si mes conseils ne vous suffisent pas, mon cher lecteur, évitez de battre votre femme ou vos enfants. Explorez plutôt le blog de Bruno, il contient des centaines de billets que vous ne connaissez pas et faites passer l'adresse à vos amis : brunoviard.fr
Courage !
Image : Jonas dans le ventre de la baleine vu par le P. Armand Veilleux.