J'ai fait un cauchemar !
Je ne sais pas vous, mon lecteur, mais moi, je rêve beaucoup, seulement j'oublie presque tout en me réveillant et je me demande vraiment qui est le scénariste plein d'imagination qui invente toutes ces histoires. En tout cas, ce n'est pas moi. J'aimerais bien écrire des romans mais je suis complètement incapable d'inventer quoi que ce soit. À quand la machine à enregistrer les rêves ? Quel progrès dans la connaissance de l'être humain quand on pourra se repasser le film IRL*!
Il y a autre chose, qui va d'ailleurs en sens inverse, c'est que le scénariste me réveille juste avant le dénouement et je ne sais jamais comment ça finit. Ça vous fait pareil à vous, mon lecteur à cinq doigts et sans plumes ?
Alors... C'était dans un grand colloque littéraire. Quand on est passé aux questions de la salle, j'ai demandé la parole, je ne sais plus pour dire quoi, et immédiatement, un de mes collègues s'est mis à me contredire en disant que je n'avais pas à porter de jugements. Moi, je n'avais pas le sentiment d'avoir porté un jugement sur quoi que ce soit, mais j'ai saisi la perche pour dire qu'il était impossible de ne pas porter de jugement ; que des jugements, on en portait en continu les uns sur les autres comme sur soi-même. Que d'ailleurs moi-même qui parlais, j'étais en train de m'évaluer autant que ceux qui m'écoutaient ; que la question n'était pas de juger ou de ne pas juger, mais de juger pertinemment, vu que la plupart du temps, nos jugements sont surchargés d'appréciations emphatiques ou péjoratives abusives ; et que, puisqu'il s'agissait de littérature, si on s'abstenait de porter des jugements sur la valeur, on tombait dans l'esthétisme de l'art pour l'art, c'est-à-dire qu'on procédait à un refoulement de l'évaluation mais que, bien sûr, celle-ci demeurait active, mais de façon sournoise et faussée.
Je n'avais pas fini d'enfoncer le clou que depuis un petit moment, il y avait de l'agitation dans la salle, beaucoup de gens ont levé la main pour demander la parole et plusieurs personnes se sont mises à parler en même temps en élevant le ton. Je comprenais bien qu'ils étaient contre moi. J'ai voulu finir ce que j'avais à dire mais le président de séance n'avait aucune autorité, tout s'est achevé sur un grand brouhaha et je me suis réveillé...
* In real life. Cela dit, Gérard de Nerval était convaincu que la vraie vie, c'était celle des rêves et inversement. Impossible de lui prouver qu'il se trompe. En photo, portrait de Nerval par Nadar quelques jours avant son suicide, la nuit de sa délivrance.