Les lettrés sont-ils meilleurs que les autres hommes ? (suite)
En résumé, j'ai écrit lundi que ce qui compte, ce n'est pas ce qu'on sait mais ce qu'on fait. Dans toutes les professions techniques, il est évident que les deux sont liés. J'accorde donc qu'un bon politique doit connaître l'histoire pour ne pas tomber dans les ornières de ses prédécesseurs. Mais en littérature, mais en philosophie, mais en morale, ce n'est pas la même chose. Voici pourquoi.
Pierre Leroux avait hérité des saint-simoniens en 1830 de l'idée que l'homme n'est pas esprit + corps comme l'enseignait l'Église mais qu'il était triple : sentiment + sensation + connaissance. Il ajoutait indissolublement unies. Il y a toute une révolution là-dedans. Exit le dualisme. Contre l'Église catholique, Leroux réhabilite le corps et contre les lettrés, il réhabilite le sentiment. Car il disait que les trois compétences étaient inégalement réparties selon les individus mais égales en dignité, ce qui signifie qu'un grand cœur vaut bien un gros cerveau.
Pascal allait encore plus loin en mettant l'ordre du cœur au dessus de l'ordre l'intelligence, laquelle se plaçait au dessus de l'ordre de la réussite matérielle. Il y a donc une hiérarchie : l'argent ne nous rend pas plus intelligents et l'intelligence ne nous rend pas meilleurs.
Elle risque juste de nous rendre plus orgueilleux, c'est-à-dire moins empathique. Le snobisme de l'intelligence n'est pas moins dangereux que le snobisme de l'argent.
Mais n'y a-t-il pas de sentiments dans les livres ? Croyez-vous que Stendhal, que Dostoïevski, que Proust, que Giono, que Houellebecq n'aient pas mis de sentiments dans leurs livres ? Bien sûr que si ! Ils invitent même à une sorte de conversion à l'ordre du cœur. C'est pourquoi j'en veux à l'enseignement universitaire qui s'emploie méthodiquement à tourner la tête de l'autre côté pour se livrer à des décorticages intelligents.