Derrida trop frivole
Décidément, le livre que m'a passé mon ami le Docteur Grillo est intéressant. Derrida y revient sur son livre de 1993, Spectre de Marx résumé en ces termes à la page 131 !
Semblable au roi assassiné qui dérange la vie d'Hamlet en marchant sur les remparts d'Elseneur, Marx est devenu un spectre pour notre société occidentale dépressive qui ne cesse de clamer la mort de la Révolution sans parvenir, fort heureusement, à éradiquer l'esprit de la Révolution.
Mais bien sûr, Jacques, que le monde souffre de l'ultralibéralisme ! Tout le monde le sait. Il en souffre même beaucoup plus en 2019 que tu ne le pensais en 2001 où la question écologique ne se posait guère (tu n'en parles pas en tout cas). D'accord avec toi aussi pour répéter que même si le goulag a été bien pire qu'Auschwitz, il ne faut pas "symétriser" les deux totalitarismes parce que le premier était pavé de bonnes intentions ! Mais ce que je trouve vraiment frivole de ta part, c'est d'en rester là et que l'homme si intelligent que tu es demeure fixé dans la nostalgie de son amitié avec Althusser et fasse une belle métaphore shakespearienne sans songer à se demander pourquoi les 44 sociétés qui ont essayé la recette marxiste ont toutes échoué lamentablement !
Figurez-vous, mon lecteur que, dans la salle d'attente de madame Matrdic, la kiné chez qui m'a adressé le même Docteur Grillo et qui s'occupe si bien de mon dos endolori, je tombe sur un article de Michel Onfray, Marx et Engels prennent le thé. Comme je ne pouvais le finir en me livrant aux exercices qu'elle me prescrivait, elle m'a gentiment proposé d'emporter Le Point chez moi.
Onfray dit que Marx est un grand idéaliste, toujours resté hégélien, c'est-à-dire croyant en la Providence, une Providence qui a pris la forme des lois infaillibles du matérialisme dialectique. Ici, Onfray souligne une insurmontable contradiction. Si les lois de l'histoire sont si infaillibles que ça, on ne voit pas pourquoi Marx a défendu l'idée de la violence dans l'histoire et de la dictature du prolétariat.
Je rajouterai que si Marx n'a certes ni désiré ni imaginé la goulag, il lui a ouvert un boulevard en faisant l'impasse sur les formes politiques, sur la notion de Constitution, sur les droits de l'homme...
Je laisse la conclusion à Onfray :
Pas plus que le capitalisme n'a débouché sur la Révolution mais sur ses métamorphoses, la négativité marxiste n'a donné naissance à autre chose qu'à des millions de morts sur la planète sans que le projet de société sans classe ait été réalisé ou ait même avancé d'un saut de puce. Des camps, des barbelés, des miradors, des goulags, oui ; une société sans classes, non. Jamais peut-être autant que dans cette société marxiste avec nomenklatura à son sommet et sous-hommes déportés à sa base l'existence des classes n'aura été à ce point d'écartement.
Après, Onfray en pince pour Proudhon. Je préfère Leroux.
Photo : Marx et Engels deviennent amis par Hans Mocznay (1953) Cette toile est commentée par le texte d'Onfray.