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Marco, la belle statue était livide comme une morte


Musset est le poète de la jeunesse et de la corruption trop précoce. J'ai repensé ce matin à cette fraîcheur, à cette fragilité, à ce ton cristallin. Et aussi à mon prof d'hypokhâgne au lycée Thiers, Paul Martin, qui a fait lire à ses élèves une page de La Confession d'un enfant du siècle que j'ai moi-même souvent donnée à expliquer à mes étudiants.


Dans une soirée un peu tumultueuse, Octave est fasciné par une danseuse italienne, grande et mince comme une liane, prénommée Marco. Tout tremblant, il se laisse entraîner à la fin du repas dans une chambre louée, mais le charme se rompt lorsque l’aube apparaît et découvre les allées du Luxembourg par la croisée. Suit un texte échappé à la vigilance de Proust, qui ne s’est trouvé que trois prédécesseurs en matière de mémoire involontaire : Chateaubriand, Baudelaire et Nerval, oubliant Rousseau et Musset. Ça commence par une métaphore intéressante :


Comme un liège qui, plongé dans l’eau, semble inquiet entre les doigts pour remonter à la surface, ainsi s’agitait en moi quelque chose que je ne pouvais ni vaincre ni écarter. L’aspect des allées du Luxembourg me fit bondir le cœur, et toute autre pensée s’évanouit. Que de fois, sur ces petits tertres faisant l’école buissonnière, je m’étais étendu sous l’ombrage, avec quelque bon livre, tout plein de folle poésie ! car, hélas ! c’étaient là les débauches de mon enfance. […] Là, quand j’avais dix ans, je m’étais promené avec mon frère et mon précepteur, jetant du pain à quelque pauvre oiseau transi ; là, assis dans un coin, j’avais regardé durant des heures danser en rond les petites filles ; j’écoutais battre mon cœur naïf aux refrains de leurs chansons enfantines ; là, rentrant du collège, j’avais traversé mille fois la même allée, perdu dans un vers de Virgile et chassant du pied un caillou. – O mon enfance, vous voilà ! m’écriai-je ; ô mon Dieu, vous voilà ici !

(Deuxième partie, chapitre IV)



A la lumière du matin, Marco, la belle statue étendue dans l’alcôve, dépouillée de tout son pouvoir érotique, paraît livide comme une morte. C'est la fin du désir. Une lettre ouverte sur le secrétaire permet à Octave d’apprendre que Marco avait appris, la veille, la mort de sa mère : une femme sans cœur !


Photo : mon exemplaire de la Confession avec portrait de Géricault.

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