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De rois, de femmes et de dieux !



Une douzaine de vers de Hugo me viennent à l’esprit. C’est tiré des Voix intérieures. Attention à bien dire Versa-[ye] et à faire les diérèses dans li-ons, radi-eux et dans éblou-issement, sinon vos octosyllabes seront faux !


Vers le temps où naissaient nos pères

Versailles rayonnait encor.

Les lions ont leurs repaires ;

Les princes ont des palais d’or.

Chaque fois que, foule asservie,

Le peuple au cœur rongé d’envie

Contemplait du fond de sa vie

Ce fier château si radieux,

Rentrant dans sa nuit plus livide,

Il remportait dans son œil vide

Un éblouissement splendide

De rois, de femmes et de dieux !


Hugo était encore royaliste en 1837 mais je pense plutôt qu’il a voulu rendre la vision enchantée, naïve, et nous dirions aujourd’hui aliénée que le peuple pouvait avoir des splendeurs de la cour. Admirons surtout le dernier vers, mon lecteur : ce qui éblouissait le peuple, ce sont les rois, bien sûr, les dieux, ce n’est après tout qu’une métaphore banale, mais surtout les femmes. Voilà qui est beaucoup plus étonnant, comme si les femmes n’étaient pas à peu près en nombre égal aux hommes jusque dans les moindres hameaux. Eh bien pas du tout ! Ne comprenez-vous donc pas qu’il n’y a vraiment aucun rapport entre les créatures que décrivait La Bruyère, qu’on voit, au sortir de leurs tanières, gratter la terre avec obstination, au cou aussi ridé que celui des dindons, à l’odeur insupportable et les duchesses et autres marquises qui pouvaient, par la fenêtre de leurs carrosses, leur jeter quelques pièces dans la boue des chemins ?

La poésie, c'est comme la peinture : il faut passer plusieurs couches, c'est-à-dire relire au moins trois fois. Je suis d'accord qu'il y a quelques faiblesses dans le milieu de la grande dernière phrase (sa nuit livide ? son œil vide ?), mais il fallait faire attendre le dernier vers : De rois, de femmes et de dieux ! Comme on l'a bien en bouche, ce vers attendu, tout en laissant se former le fantasme... Les nuques immaculées, satinées, de ces déesses, ces épaules, ces gorges parfumées !

Les pauvres !

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